La relation entre politique et religion est remise d'actualité dans le contexte des révoltes dans les pays arabes. Question sensible eu égard à la situation post-révoltes vécues par certains pays nord-africains et moyen-orientaux, dont la Tunisie et l'Egypte, la religion était un des thèmes développés hier à la clôture du symposium «Penser le changement» organisé au CRASC. Chercheur en théologie, Soheib Bencheikh s'est intéressé au «statut de la religion dans l'Etat post-colonial». Favorable à la séparation entre le politique et le religieux, l'ancien mufti de Marseille estime que cette séparation est bénéfique aux deux sphères. «Je ne dis pas séparation entre Etat et religion mais entre politique et religion», précise-t-il néanmoins pour bien situer la problématique. Normalement, c'est, selon lui, au plus croyant des citoyens de revendiquer cette distinction pour se prémunir contre la mainmise des politiciens sur la religion qu'ils utilisent de manière malsaine. On assiste alors à un «gavage» religieux mais qui n'est basé sur aucune conviction, cette notion étant l'essence même de la foi. L'Etat est défini comme étant basé sur des critères rationnels et faisant appel à une intelligence partagée mais dont on peut adopter, refuser ou critiquer les orientations. Dans la pratique, rappelle-t-il, ce sont les pays occidentaux qui ont expérimenté cette distinction même si, preuve que ce n'est pas incompatible, plusieurs nations se revendiquent d'une religion, à l'exemple de l'Angleterre où la reine est en même temps chef de l'Eglise anglicane, des Etats-Unis où la religion est également inscrite dans la Constitution et la Belgique qui en reconnaît trois, etc. Ce développement n'est pas fortuit et c'était pour aboutir à l'exemple français jugé radical et unique au monde, preuve en est que l'adjectif dérivant du terme laïcité n'a d'équivalent direct dans aucune autre langue. Il estime qu'en France, la laïcité a beaucoup plus à voir avec son histoire (conflictuelle au départ puis séparation à l'amiable ayant abouti à une neutralité positive) qu'avec la définition du terme lui-même. «Importé dans le contexte algérien, dès que vous prononcez le mot, vous provoquez automatiquement un blocage, car on vous renvoie à l'idée d'une action contre la religion, ce qui n'est pas forcément vrai», explique Soheib Bencheikh qui avance la notion de «crispation psycholinguistique» qui freine les mécanismes de compréhension et de débat sur la question. Il va plus loin en disant que même la traduction en arabe de la notion de laïcité participe à la confusion en précisant que le terme «Ilmania», choisi comme équivalent, avancé au milieu du XIXe siècle par Boutros El Boustani, lui est d'abord antérieur. Ensuite, toujours selon le même spécialiste, le référent auquel il renvoie (Alem pour le Monde) n'est pas perçu de la même manière dans les religions chrétienne et musulmane. A la question : «doit-on ou peut-on séparer le religieux du politique ? » Le chercheur démontre que la juxtaposition des deux se fait toujours à l'avantage du politique et que s'il y a lieu de séparer, il faut plutôt séparer les institutions. Pour lui, le problème concerne la législation et partant de là, il prévient contre certains usages adéquats. «J'ai une bibliothèque bien fournie, mais je n'ai rencontré aucun livre qui est intitulé Charia, car cette notion nous renvoie automatiquement vers l'histoire et se cramponner à un moment de l'histoire est toujours dangereux.» Les interrogations sont multiples : on va appliquer la charia mais sur la base de quel «medheb» ? Quelle école ? Ou quelle génération d'écoles, car il y en a eu plusieurs qui se sont succédé ? Sa conclusion est significative : «La conception de la justice dans un siècle donné peut s'avérer injuste le siècle suivant et de la même manière une idée de progrès peut devenir une régression plus tard.» La question du rapport politique/religion renvoie indirectement à la communication présentée par Lahcène Zeghdar, université Alger 3, qui s'est intéressé au «système politique algérien, entre crises et transitions». Logique de compromis La question : «Quel aurait été la conséquence pour l'Algérie si en 1991 le mode de scrutin qui a été choisi était celui de la proportionnelle au lieu du mode majoritaire ? (l'électorat islamiste était de moins de 30%)» n'a pas de réponse, mais en s'interrogeant sur ce choix, le conférencier a voulu démontrer que dans un système donné, le changement d'une seule variable peut avoir des conséquences considérables. Il cite le cas de la Pologne où la reconnaissance du syndicat Solidarnosc a engendré un changement dans la nature du système. Dans l'ensemble, Lahcène Zeghdar a développé l'évolution de la Constitution algérienne et la législation en général sous la lumière des compromis avec les forces montantes qui se manifestent à chaque étape de l'histoire ou alors avec la prise de conscience que certaines solutions préconisées s'avèrent inefficaces comme la promulgation de la loi sur la rahma pour éviter le recours à la violence. Nouredine Sadi (université d'Artois), qui a, lui aussi, décortiqué les différentes lois fondamentales pour expliquer les évolutions, s'érige contre une idée reçue et affirme que «cela n'a jamais été une Constitution pour un président». A la lumière de son analyse de la période des années 1970, il estime que même avec les dernières réformes, on s'achemine d'une certaine manière vers une reproduction de l'ancien statut présidentiel (Houari Boumediène). Pour des raisons propres à l'histoire de l'Algérie, Nouredine Sadi ne croit pas à un changement conséquent. Evoquant la question de l'islamisme, il dit ne pas aimer l'identifiant «Printemps arabe», un qualificatif qu'il utilise «faute de mieux». Hassan Remaoun estime de son côté que «la population se méfie des changements politiques après la terrible décennie vécue en Algérie». Les outils de son analyse de la situation, articulés autour du triptyque aspiration à la modernité – justice sociale et identité, une articulation entre la pensée locale et les grands courants de pensée du XIX et XXe siècle sont les mêmes qui ont déjà servi pour expliquer la nature profonde du mouvement national. «Je suis contre le changement, je suis pour le statu quo, car j'ai 72 ans et je ne sais même pas ce que mes enfants veulent», a ironisé Rachid Tlemçani pour déplorer en réalité le peu de crédit accordé aux jeunes. La génération actuelle est différente de celle de 1988, elle-même différente de celle de 1962, etc. L'intervention de Ahmed Dkhinissa de l'université Alger1 a traité de la réforme des collectivités locales en Algérie. Il cite plusieurs initiatives de décentralisation, mais qui n'ont pas été menées jusqu'au bout telles que «le texte de 2001 de l'ancien ministre Cherif Rahmani sur l'aménagement du territoire considéré comme une mini révolution, mais qui n'a pas eu de traduction institutionnelle au même titre que le débat initié dans les années 1990 ayant abouti à l'expérience stoppée du gouvernorat du Grand-Alger.