Le journaliste d'El Khabar, Mourad Mhamed, a été présenté hier au procureur près le tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, puis au juge d'instruction de la deuxième chambre qui l'a mis sous contrôle judiciaire pour « publication de documents portant atteinte à l'intérêt national ». Le magistrat a également mis sous mandat de dépôt deux policiers et l'ami du journaliste dont le seul tort est d'avoir faxé le document ayant servi à la rédaction de l'article paru le 27 mars dernier, objet de la plainte, et relatif à un communiqué du GSPC appelant au recrutement d'anciens repentis. Hier matin, le confrère, accompagné de son directeur Ali Djerri et de son avocat Khaled Bourayou, s'est rendu au commissariat de la rue Dr Saâdane, à Alger, avant d'être présenté avec les trois autres personnes au parquet. Les présentations ont duré toute la journée et se sont terminées par des décisions très lourdes. Le premier prévenu à passer devant le juge a été l'ami de notre confrère, soit la personne qui a faxé à la rédaction d'El Khabar le communiqué du GSPC. Son audition par le juge n'a duré que quelques dizaines de minutes avant qu'il ne soit mis sous mandat de dépôt pour le même chef d'inculpation. Il sera suivi des deux policiers, contre lesquels le magistrat instructeur a retenu non seulement « participation à la diffusion d'informations portant atteinte à l'intérêt national », mais également « divulgation de secret professionnel ». Eux aussi ont été placés sous mandat de dépôt, alors que le journaliste, interrogé en dernier, a été mis sous contrôle judiciaire, pour « avoir aidé à la diffusion d'informations portant atteinte à l'intérêt national ». Ces décisions ont été jugées très lourdes par la corporation. Elles sont venues s'ajouter aux moments de terreur que le journaliste et les autres prévenus ont subis durant leur interrogatoire par les services de police. En effet, Mourad Mhamed a vécu un véritable cauchemar le week-end dernier dans les locaux du commissariat de la rue Dr Saâdane, à Alger. Insultes, menaces, intimidations et violences verbales ont été les moyens utilisés par les policiers pour arracher à notre confrère les noms de ses sources. « Ce que j'ai subi relève d'un scénario d'un film auquel je ne me suis jamais attendu. J'ai été traumatisé et touché dans ma dignité par le comportement des policiers, qui voulaient avoir les noms de leurs collègues, qui m'ont donné l'information, par n'importe quel moyen. Mon ami, un civil qui m'a faxé le communiqué d'un taxiphone a été interpellé à cause de moi et a subi les mêmes sévices. Il n'était même pas au courant du contenu du document qu'il avait transmis », a déclaré le confrère. La première réaction a été celle du journal El Khabar, à travers une déclaration rendue publique vendredi dernier. « Ces pratiques contredisent les dispositions de la loi sur l'information qui octroie au journaliste le droit du secret professionnel et la protection de sa source, qui ne peut être divulguée que devant la justice. Pratiques qui contredisent également la Constitution qui consacre la protection du travail journalistique de toute maltraitance ou menace de quelque côté que ce soit, y compris de la part des services de sécurité. » Pour sa part, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) s'est indignée de la manière avec laquelle le journaliste a été interrogé par la police en affirmant : « De telles pressions policières sont inacceptables. » La FIJ a appelé les autorités algériennes à « respecter les lois en vigueur qui habilitent la justice à demander à un journaliste ou à un média de révéler ses sources lorsque le caractère d'exception nécessitant le recours à une telle extrémité est établi ». Le Syndicat des journalistes (SNJ) a, lui aussi, réagi vendredi dernier pour dénoncer le supplice moral subi par le journaliste. « Le syndicat ne peut tolérer la façon avec laquelle a agi un corps de sécurité dont la mission première est de faire respecter la loi », a déclaré le SNJ tout en exhortant les autorités à « mettre fin à ces pratiques d'un autre âge et à revoir leurs rapports avec la communauté médiatique ». Ainsi, la corporation continue d'être une cible privilégiée des autorités, lesquelles veulent à tout prix rétrécir chaque jour ses marges de manœuvres. Les décisions du magistrat instructeur auront de lourdes répercussions sur la liberté de la presse, dans la mesure où elles vont dissuader les rares voix contestataires de révéler des informations aux journalistes. Elles posent également le nécessaire débat sur la protection juridique du journaliste, mais aussi de ses sources d'information.