-Le constat est général : la plupart des villes algériennes, si ce n'est toutes, sont laides. Les anciens quartiers sont défigurés, les nouveaux lotissements sont dépareillés et mal pensés, l'anarchie dans la construction règne. Comment expliquer cet état des lieux ? Hamid Ahlouli : ce problème est multidimensionnel. Ces villes ne répondent pas aux normes que l'on connaît, que l'on a étudiées. Il manque des choses essentielles telles que l'image de la cité et ses repères. Par exemple, dans toutes les villes il y a un pôle et un anti-pôle, une entrée et une sortie, la centralité, la périphérie, etc. Car le développement de chaque ville se fait selon une planification, dont l'exécution se fait à court, à moyen ou long termes. Réellement, le problème majeur en Algérie se pose pour le Plan directeur d'aménagement de l'urbanisme (PDAU) et le Plan d'occupation au sol (POS). Le premier est à grande échelle et concerne le territoire, tandis que le second concerne les communes. Dans ces instruments, l'on trouve des prescriptions urbaines qui nous aident, nous architectes ou encore les acquéreurs, à construire notre ville selon un plan étudié et défini. Malheureusement, ce plan est toujours soit en phase d'étude, soit en phase de révision en Algérie. Et de ce fait, ces instruments sont toujours en retard par rapport à la ville, dont l'extension ne s'est jamais arrêtée. D'autant plus que cette approbation des instruments d'urbanisme est toujours gelée à des délais indéterminés. La construction continue sans planification, anarchiquement donc. Car c'est le plan antérieur qui est en vigueur et ne prend pas en compte la réalité de la ville. De par cette lenteur, il faut 10 ou 15 ans avant qu'une actualisation soit aboutie. Seulement entre-temps, les terrains que l'on inscrits comme étant par exemple nus sont construits ! Ce manque d'anticipation a pour résultat que ce n'est pas la ville qui s'adapte à un plan directeur, mais que ce sont ces plans qui reproduisent la ville après coup ! Mohamed Seghir Kiram : Problème auquel vient s'ajouter le délai d'obtention d'actes d'urbanisme. Lorsqu'un citoyen demande un permis de construire ou un permis de lotir, il fait face à de nombreuses contraintes avant d'avoir ces approbations. Et l'impact est le blocage de la construction pour certains ou alors d'autres passent outre et construisent de manière illicite et non conforme. -L'aspect de nos villes dépend donc d'une administration qui, au lieu de faire respecter les normes, encouragerait les citoyens à ne pas les respecter ? H. A. : il faut alléger et diminuer les délais d'obtention des actes d'urbanisme auxquels tous devraient être soumis. Il y a des gels qui durent dix ans et la construction ne s'arrête pas pour autant. Le permis de construire, comme prévu par la loi, doit être délivré dans les quatre mois après dépôt de dossier. Ce qui n'est jamais arrivé. Pourtant, c'est grâce à ce document que l'on peut fixer la hauteur, la façade, la couleur, l'alignement, la durée de construction, le temps d'achèvement, etc. L'on pourrait instaurer, comme en Tunisie, l'autorisation d'occupation sans habitation partielle. Avant d'occuper une habitation, il faut au moins finir les parties communes, l'extérieur ou la façade. La bureaucratie fait que la jungle urbanistique soit, car il y a trop d'ambiguïtés et le cahier des charges n'est pas défini. -De qui relève cette planification ? M. S. K. : Il existe un bureau d'études qui, en collaboration avec les autorités de wilaya et locales, détermine ce plan d'urbanisme. Mais il est réellement pris en charge par la Direction de l'urbanisme, de la construction et de l'habitat (DUCH) et par le wali. Celui-ci transmet un POS à la localité. Donc normalement, les permis de construire pour les petits projets et les habitations ne devraient pas passer par la DUCH puisqu'un plan local et des prescriptions urbanistiques ont été établis et transmis à la mairie ; cette dernière peut les faire appliquer. Cela pourrait se faire en 24 heures. Chacun de ces intervenants détient le pouvoir de libérer une tâche pour le bien de tous et afin de faciliter l'aménagement de nos villes. Ce qui explique en partie les lenteurs. Toutefois, il faut insister sur le fait qu'il n'y a qu'un seul bureau d'études qui fait ce travail. Et c'est insuffisant. Une nouvelle agence d'urbanisme doit être mise sur pied, qu'il faut impérativement renforcer par d'autres bureaux d'études et plus de moyens humains. Et il faut arrêter de voir la ville uniquement sur plan. Aujourd'hui, cela se fait avec des moyens technologiques pointus et réels tels les maquettes, les outils 3D et autres. -L'Algérie est devenue un chantier à ciel ouvert et, ces dernières années, l'on a vu de nouvelles cités pousser comme des champignons. Mais l'on a de cesse de qualifier ces «extensions» de «catastrophes urbanistiques». Qu'est-ce qui fait défaut ? H. A. : la coordination entre les différents corps. Par exemple, on lance un projet de logements. Il devrait obligatoirement y avoir coordination entre plusieurs secteurs car il faut préparer des routes, l'assainissement, l'alimentation en eau, l'électricité… Et ce manque de travail parallèle explique les retards d'aménagement extérieur. Et il y a aussi le problème d'équipement. Dans la plupart des cités AADL, il n'y a pas d'école, ce qui explique en partie les surcharges des classes. On pourrait encore citer le problème des marchés. Partout on trouve des vendeurs ambulants et informels et le résultat est les embouteillages et la saleté. Mais avant de construire de nouvelles villes, il faut d'abord penser à celles qui existent. Il y a ce que l'on appelle les plans de réhabilitation, de restauration et de restructuration. Seulement, nous assistons à la destruction de ces villes. Il ne faudrait par exemple ne pas laisser de poche de terrain vide sans remplacer un immeuble démoli, et ce, tout en respectant le tissu, les normes et le site. Il y a aussi un problème de commodités, d'absence d'aires de repos et de jeux, d'équipements tels postes, écoles, centres de santé… Et ce sont en général les extensions, les «nouvelles villes», que l'on nomme aussi «cités-dortoirs». -Est-il trop tard pour «sauver» nos villes ? M. S. K. : Il n'est jamais trop tard ! Il suffit juste de stopper les constructions en mettant à jour et en rendant disponibles les instruments dont nous avons parlé. Il suffirait d'une décision et d'une forte volonté. Des opérations de rénovation urbaine doivent être mises en place pour «récupérer» les quartiers avec une identité urbaine faible. Il y aura évidemment quelques démolitions, mais le plus important est de «réparer» ce qui a été gâché puis refaire les façades, les aires, etc. Mais il faut que les administrateurs laissent les techniciens et les gens de métier s'en occuper. La ville doit être construite par les architectes, qui ont une vision de développement des villes. Actuellement, elles sont faites par des géomètres qui font les découpages. Ensuite, ce sont les maçons et les maîtres d'ouvrage qui font le reste. Et l'on voit les résultats. Les bureaux d'études se retrouvent à reproduire ce qu'a fait le citoyen et le maçon sur plan puis y apposer leur griffe. -Que pensez-vous des projets de villes «nouvelles», telles Boughezoul et autres ? Est-ce la solution ? M. S. K. : l'idée est de créer une nouvelle ville ex-nihilo, dans un espace vague, qui n'est pas urbanisé. En France, dans les années 1960, le gouvernement avait décidé de créer 5 villes nouvelles autour de Paris, afin de décongestionner la métropole et absorber l'exode. Mais l'idée était de construire une unité complète avec usines, logements, etc. Pas seulement une «délocalisation»… H. A. : a mon avis, la ville ne se construit pas de cette façon-là. Elle est un développement, un dédoublement, un tissu. La ville se fait par la vie et il y a toujours un tracé, des extensions. Mais construire dans un désert et ensuite amener des gens y habiter, je ne pense pas que ce soit la solution. Il faut avant tout des études approfondies sur tous les plans, et surtout sociologiques, économiques et culturels, voire même climatiques. On construit des cages pour des gens qui vont essayer de les transformer au maximum selon leurs visions, sans répondre aux spécificités et aux besoins du citoyen. Je pense qu'il serait plus judicieux de projeter sur des sites vierges des capitales, par exemple, économiques, administratives, etc.