L'Algérie, dont les Européens et les Américains louaient l'expérience et l'expertise acquises dans le domaine de la lutte antiterroriste accumulée tout au long des années noires de terrorisme vécues par le pays et que l'on présentait comme un partenaire-clé, incontournable dans le combat transnational contre ce phénomène, suscite critiques et interrogations sur la gestion de l'opération de sauvetage des otages détenus sur le site gazier d'In Amenas par un groupe terroriste d'AQMI. En dehors des dirigeants français qui ont adopté un discours et un ton mesurés sur cet événement compte tenu des nouvelles relations liant les deux pays avec l'arrivée du président Hollande aux affaires dans l'Hexagone et de la position d'Alger dans la guerre au Mali, illustrée par l'autorisation de survol des avions de chasse français, les réactions des autres pays dont des ressortissants figuraient parmi les otages, tout en restant très diplomatiques, ne se voulaient pas moins plus fermes pour des considérations d'enjeu de puissance et de politique intérieure. Elles oscillaient entre les regrets de ne pas avoir été informés et des demandes «d'explications», comme l'on fait les Américains. Ce qui, déjà, dans le langage diplomatique sous-entend que Washington désapprouve la manière avec laquelle l'opération a été menée. Le Japon est monté d'un cran dans la surenchère en convoquant l'ambassadeur algérien à Tokyo ce qui, dans les usages diplomatiques, signifie l'existence sinon d'une crise entre les deux Etats, du moins un mécontentement des autorités du pays du Soleil-Levant par rapport aux conditions dans lesquelles l'assaut contre le groupe terroriste a été mené par les forces spéciales algériennes. Au milieu de toutes ces clameurs fort compréhensibles au demeurant pour les classes politiques de ces pays qui savent combien la sécurité de leurs ressortissants est importante pour se maintenir dans les sondages, apparaît à l'évidence en filigrane des frustrations et des demandes non satisfaites par Alger d'assistance militaire, voire d'envoi de troupes d'intervention pour participer aux côtés des forces algériennes à l'assaut contre les terroristes. Ce n'est pas tant la fermeté des autorités algériennes qui ont d'emblée rejeté toute négociation avec les terroristes et la décision de traiter cette prise d'otages par les moyens sécuritaires qui ont fâché nos partenaires. Il y a quelques jours seulement, la France n'avait pas fait de quartiers au groupe terroriste des shebbabs somaliens pour tenter de libérer l'agent français détenu par ce groupe. Les Américains sont partis, eux aussi, cueillir Oussama Ben Laden dans son lit, au Pakistan, en faisant peu cas des critiques adressées au gouvernement américain sur les conditions de la neutralisation de l'ancien chef d'Al Qaîda, assimilée à un assassinat. Ces exemples montrent bien qu'il n'y a pas de guerre propre dans la lutte antiterroriste et de risque zéro en termes de vies humaines ; le propre de l'idéologie terroriste est de jouer sur les peurs, sur le registre de la mort et du chaos lorsque les groupes terroristes sont acculés pour tenter de se tirer d'affaires en forçant les portes de la négociation. Alors, l'Algérie a-t-elle raison et bien fait d'avoir poliment refusé l'assistance militaire extérieure faite officiellement au gouvernement algérien ou suggérée au détour des déclarations des uns et des autres ? Cette question en appelle une autre, qui consiste à savoir pourquoi les autorités algériennes n'ont pas jugé nécessaire de faire appel à l'aide étrangère de pays qui ont une expertise reconnue et des moyens de surveillance et de renseignement qui ont fait leurs preuves sur d'autres théâtres d'opération. En décidant de mener cette opération seule, l'Algérie, qui dispose de forces spéciales aguerries pour ce type d'opérations – lesquelles ont acquis leurs galons sur le terrain de la lutte antiterroriste – a voulu prouver à ses partenaires qu'elle est un Etat fort qui peut prendre en charge sa sécurité intérieure, comme il l'a fait durant ces années de sang et de feu. L'autre argument qui a sans doute fortement pesé dans la décision d'Alger d'aller seule au charbon, relève d'un souci de préservation de la souveraineté nationale. L'opinion algérienne qui a, du fait du passé colonial, un rapport douloureux avec les politiques interventionnistes, sous quelque forme que ce soit, aurait vu sans nul doute d'un mauvais œil des GI's US débarquer à In Amenas. Ceci à un moment où la braise du survol des avions français du territoire algérien n'est pas encore éteinte dans les consciences de larges franges de l'opinion nationale et de la classe politique. Crainte justifiée ou simple tabou entretenu par des régimes qui tirent leur force et leur légitimité du spectre de la menace extérieure utilisée comme un ciment de l'unité nationale ?