Le chef d'orchestre Nayer Nagui visite l'Algérie pour la sixième fois. Il présentera, demain à 18h à la maison de la culture Kateb Yacine de Sidi Bel Abbès, la Symphonie héroïque du compositeur allemand Ludwig Van Beethoven. - Vous avez un grand intérêt pour l'école italienne. Verdi, Rossini, Puccini. Est-ce grâce à l'opéra ?
C'est lié à ma spécialisation et à mes études concernant l'opéra. L'école italienne est la plus importante dans ce domaine. D'où mon intérêt. J'ai voulu éviter de me retrouver coincé dans une petite portion de la musique classique. Je me suis ouvert donc, mais j'ai peut-être mis de côté Richard Wagner et Richard Strauss. C'est pour plus tard. L'accueil des Egyptiens des œuvres de Richard Wagner et de Richard Strauss risque d'être difficile. C'est une musique dramatique complexe. Pour apprécier un opéra de Wagner, il faut lire tous les livrets de ce compositeur allemand (défenseur notamment de l'idée de l'art total). C'est une littérature difficile d'accès. On y retrouve des insinuations politiques liées à cette époque (Richard Wagner était le confident du roi Louis II de Bavière et défenseur zélé de la culture germanique). Pour bien assimiler l'œuvre de Wagner, il faut bien comprendre cette époque trouble en Europe (à partir 1844). C'est donc plus que de la musique, un domaine que je n'ai pas encore exploré.
- Et qu'en est-il de Strauss ?
Richard Strauss, pas Johann. On adore tous les valses de Johann Strauss, mais Richard était plus proche, dans ses compositions, de Wagner…
- Pour les ballets, vous avez des choix précis. Le constat que l'on fait déjà est que le compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski est en bonne place...
Absolument ! Chaque année, pendant la période des fêtes chrétiennes en décembre, nous présentons durant six soirées le ballet Casse noisette de Tchaïkovski. Durant les six soirées, la grande salle est archicomble, 1200 places. En ce mois de février, nous allons présenter le ballet Lac des cygnes de Tchaïkovski. Le public égyptien adore aussi Spartacus, d'Aram Khatchatourian (compositeur d'origine arménienne dont toute l'œuvre a été faite durant l'ère soviétique. Spartacus et Gayaneh sont ses ballets les plus célèbres). Je crois que cela est lié aux films consacrés au gladiateur thrace (Spartacus de l'italien Riccardo Freda en 1953 et Spartacus de l'Américain de Stanley Kubrick en 1960). Nous produisons à partir de El leila al kabira, l'œuvre de Sayed Mekkaoui, un ballet destiné aux enfants. Nous voulons développer une coopération entre les ministères de la Culture de l'Algérie et de l'Egypte pour que nous puissions présenter nos spectacles, comme les ballets ou les opéras, en Algérie durant la saison. Cela exige beaucoup de moyens. Il s'agit de transporter au moins quatre-vingt artistes et techniciens. Donc, cela relève de coopération culturelle entre Etats. J'espère que nous allons pouvoir réaliser un projet de ce genre en Algérie. Je serai ravi de pouvoir présenter Lac des cygnes de l'Opéra du Caire au Théâtre national algérien (TNA), une belle bâtisse. Il est possible de produire ce ballet accompagné par l'Orchestre symphonique algérien. On peut même monter les décors ici en Algérie. L'Opéra du Caire a signé depuis plus de cinq ans un accord avec l'Opéra de Shangai. Cela nous avait permis de présenter Aïda (opéra de l'Italien Giuseppe Verdi) à Shangai. Et l'Opéra de Shangai était venu produire Turandot, l'opéra de Giacomo Puccini (évoquant l'histoire de la princesse Turandot, belle cruelle, qui à partir de son palais de Pékin offrait à ses prétendants le choix d'élucider des énigmes ou de mourir).
- L'une de vos compositions est Métamorphose...
C'est une courte composition pour l'orchestre et la choral faite après la révolution du 25 janvier 2011 (qui a destitué le régime de Hosni Moubarak). C'est un travail qui m'a été demandé pour célébrer cette révolution. J'ai choisi d'évoquer dans ma composition l'après- révolution en m'inspirant de la métamorphose de la chenille en papillon. C'est la période difficile actuelle en Egypte. La révolution, c'est la métamorphose. L'idée de la composition est bâtie sur la philosophie de l'inachevé. A chaque fois, il y a quelque chose qui bloque un projet, une initiative. Il y a un air de musique qui veut émerger de sous terre, une force l'empêche de sortir. Cela fait presque deux ans que l'Egypte vit l'instabilité. Il n'y a aucune évolution. Nous continuons de traîner comme la chenille.
- Justement, où va l'Egypte maintenant ?
Nous retournons au puits ! Un seul courant politique domine le pouvoir actuellement en Egypte. Il n'y a aucune participation des autres courants.
- Le courant ikhwani...
C'est cela. Il n'y a pas de dialogue réel entre les forces nationales égyptiennes. Le dialogue actuel est formel. Réviser la Constitution exige un consensus national. Or, la révision de la Constitution est une véritable catastrophe. C'est un crime, à mon avis. C'est le début de l'anarchie. Pour que la chenille évolue en papillon, il faut arrêter tout, annuler la révision constitutionnelle. Je n'appelle pas Mohamed Morsi à démissionner. Je suis contre ceux qui souhaitent la destruction du régime, mais j'appelle à engager de véritables réformes, mais il faut d'abord annuler les décisions arbitraires du pouvoir. Après, on verra. Si rien ne se fait, je serais à ce moment-là favorable au départ de Morsi. L'erreur des jeunes révolutionnaires, c'est d'avoir abandonné Maidan Al Tahrir au Caire après la chute de Moubarak. Certains ont cru que le régime se reconstruit d'une manière automatique. Une révolution sans chef est une révolution qui ne gouverne pas. La porte a été ouverte à ceux qui exploitent la pauvreté du peuple.
- Le courant islamiste a-t-il confisqué la révolution du 25 janvier ?
Naturellement ! Les islamistes n'avaient rejoint la révolution qu'à la fin, lorsqu'ils étaient sûrs de sa victoire. La révolution a été menée par la classe moyenne, la classe des gens instruits. Si les islamistes avaient perçu l'échec de la révolution, ils se seraient retirés. Ils avaient dit au début, et les enregistrements existent, «la khouroudja ala al hakem» («pas de révolte contre le gouvernant»).
- Que peuvent faire les artistes pour sauver l'Egypte du chaos ?
Les artistes peinent à suivre l'accélération des événements, mais ils sont mobilisés. Ils sont tout le temps en réunion avec leurs syndicats. Nous, en tant que musiciens, sommes moins exposés. Les cinéastes et les hommes de lettres sont plus visibles dans le combat politique. Ils sont en pleine confrontation. Chaque jour.
- La création artistique est-elle en danger en Egypte ?
Si nous continuons sur ce chemin, l'art égyptien sera en danger. Moi, je fais confiance à la rue égyptienne. L'Egypte n'est pas un petit pays. La place de la classe instruite y est importante. Et j'espère que je ne me trompe pas. Les gens ne peuvent pas vivre sans art. L'Egypte fut le deuxième pays après l'Angleterre à avoir connu le cinéma à ses débuts. Nous ne pouvons plus revenir en arrière, plus discuter si l'ont doit faire ou pas le cinéma. Ce genre de discours ne peut venir que de gens faibles politiquement et sans pensée claire.