Alors que la crise politique s'est aggravée avec le refus catégorique des dirigeants du mouvement Ennahda d'étudier l'offre de l'opposition de mettre sur pied un gouvernement d'union nationale et de confier à des personnalités neutres les ministères de souveraineté (portefeuilles de l'Intérieur et des Affaires étrangères), les leaders de la mouvance salafiste tunisienne exploitent le moindre interstice pour répandre leurs idées rétrogrades et embrigader la population. Des groupes djihadistes locaux ont, de leur côté, entrepris d'exploiter la guerre au Mali et de l'utiliser comme un fonds de commerce pour grossir leurs rangs et semer la panique au sein de la communauté étrangère établie en Tunisie, en particulier française. But ultime de toutes ces manœuvres et de cette violence politique : domestiquer la société dans la perspective de prendre le pouvoir. Des graffitis menaçant les Français de représailles ont ainsi été peints dans la nuit de dimanche à lundi sur le mur d'enceinte d'une école française de Tunis. «Je viens vous égorger mécréants» et «Vous tuez nos frères au Mali, attendez les jours qui viennent, adorateurs de la croix», ont été inscrits à la peinture noire sur l'un des murs de l'école Robert Desnos, dans le quartier El Omrane de Tunis, selon des médias tunisiens. L'ambassade de France a confirmé ces dégradations, mais n'a pas souhaité faire de commentaire. Par crainte de représailles, la sécurité autour des représentations de plusieurs intérêts français en Tunisie a été renforcée après l'intervention française au Mali et à la suite de la prise d'otages sur le site gazier d'In Amenas en Algérie. Quelque 25 000 Français, dont 70% de binationaux, vivent en Tunisie. Les établissements scolaires français y accueillent 7500 élèves d'une quarantaine de nationalités. De leur côté, les institutions tunisiennes – qui échappent encore au diktat des islamistes – font ce qu'elles peuvent pour endiguer l'influence des salafistes (dont certains sont armés) qui jouissent de la complaisance et parfois même de la complicité des militants d'Ennahda. A titre d'exemple, la justice tunisienne a interdit la diffusion, lundi, d'une interview du chef djihadiste en cavale Abou Iyadh par la radio Mosaïque FM. Cet entretien «peut contenir des messages codés pouvant influencer le déroulement de l'enquête (contre Abou Iyadh) et troubler l'ordre public», a estimé le juge d'instruction Djalel Eddine Boukhtif dans une lettre transmise à la radio et lue à l'antenne. Le magistrat a précisé que l'enregistrement audio et vidéo, réalisé il y a quelques jours, allait même être «confisqué». Les autorités tunisiennes ont, rappelle-t-on, mis en garde ces derniers mois contre l'implantation de groupes armés liés à Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI) et l'augmentation du trafic d'armes dans le sud du pays. Abou Iyadh, l'ennemi public n°1 Abou Iyadh – de son vrai nom Seif Allah Ibn Hussein –, chef d'Ansar Al Charia en Tunisie, est soupçonné malgré ses démentis d'avoir orchestré l'attaque contre l'ambassade des Etats-Unis, le 14 septembre 2012, à Tunis, qui a fait quatre morts parmi les assaillants. Il est recherché depuis cette date pour «homicide volontaire avec préméditation, complot contre la sécurité intérieure du pays, attaque contre la sécurité extérieure de l'Etat» ainsi que la formation d'un groupe «en vue de commettre un acte terroriste» en Tunisie et à l'étranger, a souligné le juge. C'est la première fois que la justice détaille les accusations visant Abou Iyadh qui risque, en théorie, la peine de mort. -Abou Iyadh, ex-combattant pro-taliban en Afghanistan, échappe à la police depuis l'attaque de l'ambassade américaine. Il avait nargué les autorités trois jours après le drame en prêchant dans la principale mosquée du centre de Tunis. Abou Iyadh s'est toujours gardé d'appeler ouvertement à la violence mais, selon les autorités, son mouvement est lié à plusieurs attaques en Tunisie depuis la révolution du Jasmin. Dans l'entretien accordé à Mosaïque FM et dont la diffusion a été interdite, le chef présumé des djihadistes tunisien s'est dit prêt à dialoguer avec les islamistes d'Ennahda au pouvoir, tout en dénonçant un complot entre l'Occident et le gouvernement en Tunisie. «Nous faisons la différence entre le gouvernement et le mouvement Ennahda. Le gouvernement ne représente pas l'islam, tandis que le mouvement Ennahda, on travaille avec lui en tant que courant islamique indépendant du gouvernement», a-t-il dit. «Nos ennemis veulent un conflit entre islam et islam. Ennahda souhaite nous rencontrer, mais ils ont les mains liées par le gouvernement parce qu'il obéit aux conditions de l'Occident», poursuit le chef d'Ansar Al Charia, appelant à une conférence réunissant tous les mouvements islamiques tunisiens. En un mot, Abou Iyadh confirme une nouvelle fois que, dans sa conception de la cité, il ne peut y avoir de place pour les partis non religieux et qu'il est prêt à tout pour leur barrer la route. Les Tunisiens sont prévenus.