Distribution défaillante, faible rentabilité, manque de visibilité… Qui voudrait lancer une maison d'édition aujourd'hui ? Loin d'Alger, à la recherche d'un «cachet» régional, ils sont de plus en plus nombreux à tenter l'aventure. «Après une interruption de deux ans, nous avons redémarré il y a trois mois. Nous sommes parvenus à acquérir du matériel pour l'impression et nous essayons de maintenir un rythme de 40 à 50 titres par an, bien que l'édition en Algérie ne soit pas rentable. Mais nous nous accrochons malgré des problèmes de distribution.» Faïza Boudraâ, des éditions El Adib, à Oran, sait ce qu'il en coûte de monter sa propre maison d'édition. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à faire le choix, pour l'essentiel en régions. El Adib, conventionnée avec Chihab pour la distribution dans la capitale et à Annaba, a notamment publié des ouvrages de Mohamed Mestoul, comme La citoyenneté en question, ou de Abdelhamid et Louiza Aït Habbouche. A l'ouest, il y a aussi Les Gharb. «Nous évoluons à un rythme soutenu depuis une dizaine d'années avec une cinquantaine d'ouvrages par an, même si ce n'est pas évident de percer à l'échelle nationale, note Ali, vendeur aux éditions El Gharb. Nous essayons de convaincre certains écrivains qui, avant tout, voulaient soit publier chez une maison renommée, soit à compte d'auteur. Certains nous font malheureusement peu confiance, sans doute par peur de ne pas se faire connaître.» Entre Alger et Bouira, depuis 1999, Les Pages Bleues, détentrices du prix Roberval en France en 2004, dirigées par Mohamed-Chérif Belaïd, ont lancé des ouvrages spécialisés dans les domaines technique et scientifique. Terroir «J'étais auteur, avant cette aventure avec Les Pages Bleues, raconte Mohamed-Chérif Belaïd. J'avais remarqué un manque flagrant dans les domaines technique et scientifique. Aujourd'hui, nous travaillons, du moins nous essayons de travailler à travers un réseau de 800 librairies à l'échelle nationale, mis à part quelques villes dans le Sud. Malgré des problèmes de distribution, nous parvenons à vendre à l'étranger, en l'occurrence en Tunisie et au Maroc.» Souvent ces éditeurs, dits régionaux, essayent de mettre en avant certains auteurs tout aussi régionaux qu'eux, comme c'est le cas à Annaba avec la maison El Wissam El Arabi, qui a notamment publié les recueils de poèmes du Bônois d'adoption et Constantinois de naissance, Kamel Derdour. «Puisque nous sommes établis en dehors de la capitale, explique une autre éditrice, nous essayons de capter l'attention de différents auteurs issus du terroir. Notre maison d'édition peut leur permettre de se faire aider, mais la diffusion se limite surtout à la région ouest. Il est extrêmement rare qu'un auteur de chez nous soit connu à Alger, ou même à Constantine ou Annaba.» Pour cet autre vendeur à la librairie de la Révolution, rencontré à Annaba, au cœur du mythique cours de la Révolution, «la faute revient à la fois au distributeur et aux lecteurs qui ne s'intéressent pas aux auteurs et œuvres plus ‘‘régionales'', qui pourraient pourtant enrichir nos étals comme leurs bibliothèques. Si nous commandons des livres publiés à Oran ou à Béjaïa, il n'y aurait que peu de rentabilité.» Liberté A Constantine, la présence d'une grosse boîte, aussi importante que Média Plus, laisse, selon Rachid, responsable d'une petite librairie, peu de place aux autres : «Lorsque Constantine est évoquée à travers le monde de l'édition, c'est toujours à propos de Média Plus, lorsqu'un Salon du livre est organisé à Alger ou dans toute autre ville du territoire national, c'est toujours Média Plus qui est invitée. Jamais une place pour nous, alors que nous existons, du moins nous tentons d'exister, en essayant de vendre des ouvrages d'autres maisons prestigieuses. La nôtre, le Rocher, qui en est à sa quatrième année d'existence, réussit tant bien que mal à produire une dizaine de livres par an, mais il faut avouer que ce sont les autres qui nous font vivre.» A Béjaïa, les Belles Lettres éditions commencent à se frayer une place, et pas seulement en Kabylie. La réussite revient à Tarik Djerroud, son gérant, lui-même auteur et journaliste. «L'aventure a commencé en 2010, explique-t-il, alors que l'année précédente, je venais de recevoir le “premier Prix Bougie 2009'' à Béjaïa, pour mon premier manuscrit Ames secrètes, cœurs lourds, que j'avais publié à compte d'auteur sous le titre Le Sang de Mars. De nombreux éditeurs, contactés à l'époque, m'avaient suggéré des coupes qui s'apparentaient à de la censure. Dès lors, pour conserver ma liberté, j'ai décidé de créer ma propre boîte, publier de nouveaux auteurs et enrichir les librairies algériennes par des thématiques liées à la culture, l'histoire et le patrimoine.» Combat Avec un catalogue de quelque 40 titres par an, Tarik Djerroud est satisfait de son rendement, mais reconnaît que tout tient d'un travail acharné : «Mon grand souhait est que tous mes concitoyens puissent se procurer des livres réalisés avec professionnalisme et cédés à des prix raisonnables. J'ai une haute idée de ce métier. Vous savez, l'édition est un combat. Malgré tout, je sais que d'énormes efforts m'attendent et je me dois de tenir pour aller de l'avant, car la culture est un bon moyen pour le vivre-ensemble, dans le respect et la tolérance. La culture rend l'homme plus humain, c'est un rempart contre le racisme et la violence.» Et pour le Sud ? Selon un libraire de Ouargla, «créer une maison d'édition pour le Sud pourrait être bénéfique, d'autant que, avec l'immensité saharienne, il y a beaucoup à écrire et à publier». Ali, un écrivain originaire de Ghardaïa, souhaite, lui, se lancer dans la création d'une maison d'édition. «Bien sûr, pour tenter de trouver des auteurs susceptibles d'évoquer le M'zab ou d'autres régions du pays, mais également pour publier en langue arabe, en langue française ou même en tamzabit, espère-t-il, rêveur. Mais je ne sais si ce projet que je souhaite concrétiser dans quelques années pourra amener à faire connaître ma maison d'édition partout ailleurs en Algérie.»