Jamais une visite de Bouteflika n'a suscité autant d'enjeux à Constantine et produit une aussi vive polémique qui ne cesse d'enfler au fur et à mesure qu'elle s'approche, épousant les contours d'une bataille autour de la réalisation ou non des plus importants des projets et les méthodes de leur mise en œuvre. Après le tramway, c'est au tour du mausolée de Massinissa de faire l'objet d'une campagne de dénonciation contre la manière dont est menée sa réhabilitation. Pourquoi aujourd'hui, alors que le projet est en cours depuis des années ? S'agit-il d'un souci réel et innocent ou d'une vulgaire et machiavélique tentative d'en faire un fonds de commerce ? Voici quelques éclairages. L'ordre donné il y a quinze jours par le premier magistrat du pays au wali de Constantine pour la livraison du chantier à l'occasion de la visite avait accéléré les travaux sur le site. Trois jours après (le 4 avril), une délégation du ministère de la culture conduite par un expert en monuments archéologiques avait fait le déplacement au mausolée et ordonné l'arrêt des travaux. Entre la pression de la présidence et les soucis des cadres de Khalida Toumi, le wali avait choisi de poursuivre les travaux, faisant confiance aux intervenants constantinois pour bien mener les choses. Le courrier officiel signé par la ministre en personne et adressé au wali deux jours plus tard constitue une réplique vigoureuse visant à attirer l'attention sur « la nécessité d'une étude appropriée de l'emplacement original de chaque pierre avant le remontage définitif et les risques de dégradation encourus lors du déplacement des pierres (brisures, désagrégation...) nécessitent la présence d'un maître d'œuvre spécialisé tant les techniques de mise en œuvre sont spécifiques et doivent faire appel à l'expertise étrangère à travers l'Unesco, car ce monument est inscrit sur la liste indicative de classement des sites du patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco ». Khalida Toumi a rappelé aussi les risques que représente le recours « à des produits chimiques dont nous ignorons la composition et qui peuvent porter atteinte, de manière irréversible, à l'intégrité physique du monument », avant d'inviter le wali à arrêter les travaux à l'intérieur de l'enceinte du monument et de procéder à l'inscription d'une opération à l'indicatif de son ministère. Les cadres en charge du suivi à Constantine sont-ils à ce point démunis de toute qualification et le chantier est-il réellement désastreux ? L'initiative du département de la culture est plus lisible si l'on connaît le conflit de plus en plus exprimé avec le ministère de l'Habitat autour de la priorité d'intervention dans le domaine du patrimoine bâti. Mme Toumi n'a pas apprécié lors de sa visite à Constantine en décembre 2005 que l'opération touchant le mausolée soit effectuée par la direction de l'urbanisme et la construction. Mais il faut dire aussi qu'aucun signe ne démontre qu'elle cherche à concrétiser sa vision des choses, du moins à travers son représentant à Constantine, contrairement à son homologue de la DUC. L'initiative du département de la culture serait aussi motivée par cette lettre signée par des anonymes se prétendant être « des professionnels du patrimoine ». A travers leur cri de détresse adressé au président de la République, ces personnes dénoncent « les atteintes qui viennent d'être portées à cet édifice classé patrimoine national ». Le ministère de la Culture est-il désarmé dans cette bataille, se fie-t-il à des sources vraiment fiables, ou alors emploie-t-il des personnes incapables de défendre ses intérêts ? En tous les cas, ils ne le sont pas tous. En visitant le chantier hier, nous avons rencontré la responsable de la circonscription archéologique qui fait le suivi quotidien des travaux. Mme Haddad, qui décline un CV respectable dans le domaine de l'architecture et de la conservation, ne semble pas être d'accord avec les émissaires du ministère et nous a affirmé que le produit utilisé pour enlever les graffitis est le même que celui ayant été employé sur les sites de Timgad et de Djemila et que l'intervention de la grue dans l'enceinte s'est faite avec une extrême précaution et sous son regard vigilant, avant de nous inviter à juger par nous-mêmes des résultats. Pour les profanes que nous sommes, on peut dire que le monument a subi un lifting rajeunissant en attendant la reconstitution de tout le site à partir des différentes pierres qui ont été ramassées et amenées pour certaines de plus de 500 m, nous ont déclaré l'architecte de la DUC et celle du bureau d'études chargé du projet du village numide qui attend l'enveloppe financière pour son achèvement. Le projet du village numide et son point central, le mausolée du roi Massinissa, est impatiemment attendu par les Constantinois qui ont été refoulés ce week-end par centaines par les gardes communaux, alors qu'ils voulaient accéder au site et profiter de la beauté du cadre pour pique-niquer. Mais c'est aussi un projet sensible en cela qu'il demande un traitement spécial. Il n'est pas le seul et presque tous les projets structurants engagés actuellement à Constantine s'appuient sur le patrimoine pour faire de la wilaya une destination touristique et culturelle. Toute hésitation pourrait compromettre cette tendance et hypothéquer l'avenir de Constantine au bénéfice de quelques intérêts occultes qui pourraient même être derrière cette agitation.