Chaque année, nous ne manquons pas de signaler en bonne place le Festival du Conte d'Oran. La première raison tient à la place de cette «discipline» dans le patrimoine oral de notre pays, une place qu'elle partage avec le reste du Maghreb mais aussi l'Afrique où le conte a connu et connaît encore, en dépit des ravages socioéconomiques sur la culture, une grande importance, sans oublier enfin le monde arabe et musulman qui a donné ce fleuron universel des Mille et Une Nuits (lire page suivante). La deuxième raison tient dans le fait que cette manifestation a été créée, développée et maintenue par une association culturelle à maints égards admirable par les missions qu'elle s'est données, par son action en profondeur dans le substrat social, au cœur des enjeux culturels qui gravitent autour des enfants et des adolescents. Il s'agit de l'association «Le Petit Lecteur»* d'Oran dont les bénévoles sont des exemples d'engagement culturel pour la promotion de la lecture enfantine et juvénile. Sans faire de vagues et sans gros moyens, ces femmes et ces hommes ont réussi à mener le Festival du conte à sa septième édition, en suivant un parcours modeste mais méritoire, progressant d'année en année, parvenant même à attirer de grands noms du genre, encore que dans ce genre justement, le vedettariat n'existe pas. Après-demain donc débute cette septième édition programmée du 18 au 22 mars. Cinq journées palpitantes durant lesquelles le verbe prouvera qu'il demeure vivant, efficace, capable de créer dans l'imagination de ceux qui l'écoutent un univers complet de décors, de sons, d'odeurs, de rythmes, d'actions, etc. Une performance remarquable pour ce très vieil art confronté à la machinerie sophistiquée des nouvelles technologies de communication. Lui qui a déjà survécu au cinéma doit se mesurer aux films d'animation numérisés, aux jeux-vidéos, au home-cinéma, etc. On pouvait penser que toutes ces merveilles contemporaines auraient émoussé le sens de l'oralité et de l'imagination, notamment chez les plus petits et les plus jeunes, soumis à doses massives aux expressions électroniques où dominent l'image et le son. Pas du tout. Et c'est ce que vient prouver chaque édition du Festival du conte d'Oran. Celle-ci a été placée par ses organisateurs sous la thématique «50 ans d'indépendance : une histoire à partager». En cela, ils se réfèrent, bien sûr, au Cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie, suggérant qu'il est lié aussi à la nécessité de transmettre et de diffuser l'histoire nationale. Par la même, ils soulignent une des fonctions du conte qui consiste à préserver et sublimer des valeurs en perpétuant une mémoire collective. Dans le monde entier, le conte, lieu par excellence de l'imaginaire, s'est fondé, de manière plus ou moins éloignée, sur des faits réels, transfigurant des récits ou chroniques. Le conte est, d'une certaine manière, de l'histoire transmutée en légende et une réinterprétation créative du monde réel. Combien ont découvert le calife abbaside Haroun El Rachid à travers Les Mille et Une Nuits, avant d'apprendre qu'il était un personnage historique ? Et, même si les caractères et actes de ce souverain dans le conte ne sont pas exactement ceux de la réalité historique, il est certain que son entrée dans l'univers du merveilleux atteste d'un effet de la mémoire collective. Pourquoi Haroun El Rachid et pas un autre sultan ? Mieux que l'histoire, Les Mille et Une Nuits ont conservé la popularité de cet homme et l'admiration qu'il suscitait auprès des simples gens. Il y a sans doute des passages souterrains et encore mystérieux qui mènent du passé réel aux dédales de l'imaginaire… Le programme du Festival du conte permettra sans doute de s'interroger – ou, plus simplement, de s'extasier – sur cette richesse narrative et ses implications historiques, sociales et culturelles ; humaines aussi car l'exercice de ces récits demeure sans doute l'une des meilleures démonstrations de partage entre les individus, les groupes et les générations. Comme à son habitude, la manifestation se déploie en divers lieux de la ville, soucieuse de toucher plusieurs publics et de participer à l'animation culturelle urbaine, d'autant qu'elle est parrainée par l'Assemblée populaire communale d'Oran. Du lundi au vendredi, les écoles, centres culturels, instituts et associations partenaires recevront des conteurs qui iront au-devant des enfants ainsi que des adultes porter la parole du rêve et de la sagesse. On notera en outre l'inauguration, lundi 18 à 18h, sur le parvis de l'APC d'une représentation des jeunes conteurs formés et dirigés par Kamel Zouaoui. Le lendemain, le département des langues de l'ENSET accueillera à 9h30 une séance de contes, tandis qu'à 16h le Théâtre régional Abdelkader Alloula sera le lieu de «Contes en famille», sous la direction artistique du conteur congolais Jorus Mabiala. Mercredi 20 à 15h, un spectacle de contes destiné aux collégiens et lycéens aura lieu à l'Institut français. A 18h, le Loft de l'avenue Loubet sera investi par une causerie avec les conteurs du festival animée par le troubadour Mahi Seddik. «Contes en famille» encore, le jeudi 21, à 10h, aux bains turcs de Sidi El Houari, atmosphère garantie dans des décors réels propices au récit. Au même moment, à l'opposé de la ville, la conteuse française Gigi Bigot donnera au département des langues latines de l'Université une conférence intitulée : «Les pieds sur terre et la tête dans les étoiles». A partir de 18h, à l'Institut français, la même conteuse dirigera la Nuit du conte pour les adultes. Enfin, vendredi 22, à 10h, ce sera la désormais traditionnelle balade contée de clôture, à travers les jardins Ibn Badis (ex-Promenade de l'Etang), que l'association «Le Petit Lecteur» offrira en partenariat avec l'association «Bel Horizon». Kan ya makan. Il était une fois. Amachaho Aho. Once upon a time… Que l'histoire commence sur l'écran le plus perfectionné dont l'homme dispose : sa tête. *Association Le Petit Lecteur : www.plecteur-oran.org / Contact mail : [email protected]