Il rêve de devenir une star de la musique et a tout pour réussir. Fodil, 29 ans, combat à lui tout seul tous les préjugés de la société contre les trisomiques 21. Alors que la journée d'hier était consacrée à cette anomalie génétique – qui n'est pas une maladie – El Watan Week-end a partagé le quotidien d'un jeune homme exceptionnel. Fodil commence sa journée en prenant un café au lait. Il répond au téléphone, prend le bus, joue de la mandoline et de la flûte. Son quotidien ressemble peut-être au nôtre. Mais Fodil, 29 ans, n'est pas comme tous les jeunes de son âge. A sa naissance, on lui a découvert 47 chromosomes. Vous n'en avez que 46. Là où le commun des mortels a deux chromosomes 21 dans sa carte génétique, il en a trois. «On a toujours voulu dire et prouver, à travers Fodil, que la trisomie n'est pas une maladie, mais un état, précise Abès, son père, un des fondateurs de l'Association nationale pour l'insertion scolaire pour les trisomiques 21. Il est important que Fodil puisse vivre sa vie et réaliser ses souhaits en s'investissant dans le domaine artistique.» Car Fodil consacre la plupart de ses journées à la musique. Ce mardi matin dès 9h30, son père l'accompagne au centre de formation artistique de Kouba. Malgré son habileté à se déplacer par bus, son père, retraité, l'accompagne souvent à la maison de jeunes du quartier. «Je l'accompagne car j'ai du temps libre, et j'adore le voir jouer !», confie-t-il avec beaucoup de tendresse. Fodil, comme d'autres de ses amis, ont prouvé plusieurs fois leur talent. Tout ce que je souhaite, c'est de leur donner la chance d'évoluer et les faire connaître du grand public.» Fodil interrompt la conversation. «Tu m'emmènes, d'accord, mais après, tu me laisses tranquille avec mes ami(e)s», dit-il à son père avec spontanéité. Il y a Yasmine, Chahinaz et Mahrez qui m'attendent là-bas, je ne veux pas que vous restiez avec moi, sinon, ils diront que je suis petit.» A vava inouva La mixité – filles et garçons mais aussi trisomiques et non trisomiques – plaît aux parents de Fodil. «Il n'était pas question qu'il s'isole, au contraire, il est bien conscient que la solitude est amère», a déclaré son père. En hochant la tête, il l'interroge : «Mais tu ne nous invites pas à assister à tes répétitions ?» «Si, mais pas de bruit», répond Fodil, avec un air sérieux et serein. La musique est une affaire sérieuse. Son premier concert, il l'a donné à 19 ans. Son désir de jouer s'est exprimé après une participation à une chorale. C'était le 1er décembre 2005, à l'occasion d'une fête des handicapés. Le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle avait organisé un gala animé par les trisomiques 21. Malgré des doigts plus petits que la moyenne, Fodil s'est formé au solfège, au chant, à la mandoline, au piano et à la flûte dont il est inséparable et avec laquelle il joue à la perfection A vava inouva. Faute de prise en charge correcte par l'Etat, Fodil n'a toutefois pas pu suivre le système scolaire classique. Pendant six ans, de 1992 et 1999, Fodil est allé à l'école Ali Remli de Ben Aknoun (centre d'adaptation scolaire), une formation équivalente à la 4e année fondamentale. Auparavant, trois ans de maternelle à Zurich, en Suisse, ont permis et facilité à Fodil l'apprentissage d'une autre langue, le français. Jérôme Lejeune, pédiatre français connu pour avoir découvert en 1959 la cause de la trisomie 21 puis d'autres maladies liées à des aberrations chromosomiques, rencontre Fodil peu après sa naissance. «Vous devez choisir une langue pour votre fils», avait-il expliqué en marge d'une rencontre avec Abès puis dans les années 1990. Horticulture Le bilinguisme du jeune Algérien est pour le chercheur une révélation qui le pousse à remettre en cause sa théorie selon laquelle le système cérébral d'un trisomique 21 n'est pas en mesure d'apprendre plus d'une langue. Juste avant sa mort, il avait déclaré au père de Fodil : «A vous maintenant le flambeau, à vous de creuser sur ce cas, en Algérie.» A partir de 2001, Fodil suit une autre formation complémentaire pré-professionnelle en atelier (reproduction, relieur) à l'école Ali Bounab de Châteauneuf, école affiliée à l'association Anit. Sept ans plus tard, il intègre, avec huit autres trisomiques 21, une formation en horticulture en partenariat avec l'institut d'horticulture de Aïn Taya en 2008. A 18 ans, Fodil obtient une attestation officielle reconnue par le ministère de l'Agriculture. Il persévère toujours dans le sens de la formation de «recyclage papier», durant trois ans, au niveau de la maison de jeunes de Bouzaréah, de la soutenance de sa thèse «en présence du directeur de Tonic-Industrie (ex-Tonic Emballage)», confie son père. «Tout s'est bien passé, j'étais en costume et j'ai bien répondu aux questions des intervenants à propos de mon sujet», a rappelé Fodil. Abderrahmane Amoura, vice-président de l'Association nationale pour l'insertion scolaire et professionnelle des trisomiques, a vu beaucoup de jeunes déficients capables de vivre en société, à condition qu'ils ne souffrent pas d'autres troubles. «Les résultats d'une prise en charge d'un trisomique 21 sont toujours assurés, a-t-il signalé. En octobre dernier, ils ont été invités en France pour inaugurer la maison des autistes dans ce pays. Dans la délégation, il y avait des normaux et des trisomiques. Voilà un exemple d'insertion, rien n'est impossible. Il nous faut des moyens pour explorer ce qui se cache dans leur profondeur. Nous avons besoin d'eux et ils ont besoin de nous.» Après une journée consacrée à la musique, Fodil retrouve le calme de son univers, celui de sa famille, dont il est inséparable. «Mais il est autonome, tient à préciser son père. Il assume les responsabilités de la vie quotidienne, de la préparation des repas à la lessive.» Derrière la porte de sa chambre est affiché le programme de sa semaine. «Je n'ai besoin de personne», affirme avec fierté et un petit sourire ce fan de Marc Knopfler (le leader de Dire Straits, ndlr). Grâce à son expérience, Fodil a prouvé au monde que son chromosome de plus n'est pas quelque chose en moins.