La mort et être heureux, de l'Espagnol Javier Rebello, est un film qui questionne l'homme d'aujourd'hui et qui le met face à ses paradoxes. Tétouan (Maroc) De notre envoyé spécial La mort et être heureux. En espagnol, cela donne «El muerto y ser feliz». Curieux titre pour un long métrage qui revendique une large part de l'absurde. Cette fiction, entièrement réalisée par l'Espagnol Javier Rebollo en terre argentine, est en compétition officielle au 19e Festival international du cinéma de Tétouan, au Maroc. Projeté lundi soir à la salle Avenida dans cette ville du Nord, ce film a suscité bon nombre de questions parmi le public présent et quelque peu troublé. L'histoire démarre comme dans un roman noir, dans une place publique, sous le soleil incertain de Buenos Aires. Et comme dans un roman, une narratrice raconte tout ou presque au spectateur qui, à tout moment, peut se dire : «Mais qui est cette femme qui parle et prévoit même la suite des événements ?» La voix continue de narrer l'histoire de Santos (José Sacristan), le vieux tueur à gages, sans se soucier du reste. Souffrant de plusieurs cancers, Santos, 76 ans, attend la mort dans un hôpital. Il est rappelé parfois à la vie par «la belle et fraîche» infirmière qui, de temps à autre, lui offre des petites «sucreries» : de la morphine et de la masturbation ! Mais, Santos, qui a ôté la vie à des dizaines voire des centaines de personnes contre de l'argent, refuse de finir ses jours dans la mélancolie du «pavillon des cancéreux». Aidé par la morphine et par une drôle de fille rencontrée dans une station-service, il décide de prendre le chemin du nord de l'Argentine, découvrir l'arrière-pays. Il connaît la mort de près, pourquoi alors ne pas voir si, par hasard, elle porterait d'autres visages au fil des saisons ? Santos voit de près la misère de l'Argentine profonde, rencontre des policiers corrompus, des chiens abandonnés, des routes poussiéreuses, des jeunes drogués, des prostituées, des mendiants... C'est cela «votre» monde, pourquoi alors ne pas vous le laisser et partir ?, semble se dire Santos. De toute façon, Santos n'a plus rien à perdre. Il recherche quelque chose dans ses souvenirs et tente de croire qu'au-delà des forêts, des lacs et des montagnes, une autre existence est possible. Santos n'est pas un chevalier des temps présents, il est juste la caricature de l'homme moderne, de l'homme qui croit avoir retrouvé le confort et la stabilité. L'homme n'est-il pas l'ennemi de lui- même ? N'est-il pas en phase avancée d'auto- destruction ? Javier Rebello raconte, à sa manière poétiquement tragique, une histoire fortement contemporaine. On ne se demande pas ce que cherche exactement le tueur à gages après une longue vie gorgée de sang et de sous : la rencontre de la mort ou la renaissance ? Santos, qui porte le visage de l'homme d'aujourd'hui et qui, en dépit des ses lunettes cassées, peut renaître de ses cendres, ou peut-être même de la terre et de la poussière. Les hommes s'entretuent depuis la nuit des temps ! N'est-ce pas ? Le scénario, coécrit par Lola Mayo, Salvador Roselli et Javier Rebello, de La mort et être heureux, n'est pas fait pour plaire mais pour inciter le spectateur intéressé, pas celui qui s'ennuie, à regarder plus loin que le bout de son nez. C'est un film intelligent, qui ironise sur la sacralité supposée tant du bonheur que de la vie. Javier Rebello, 44 ans, est connu par ses fictions Ce que je sais de Lola et La femme sans piano et par ses courts métrages. Son cinéma tend à rompre avec «les petites habitudes» du septième art espagnol, voire ibérique. Javier Rebello est en quête permanente de grand air. D'où son voyage en Argentine pour donner ancrage à l'histoire de Santos dans La mort et être heureux. Pari en grande partie réussi. Hommage à Ridha Behi Mardi, l'Institut des beaux-arts de Tétouan a abrité une rencontre-débat avec le cinéaste tunisien, Ridha Behi. Débats animés par les critiques Abdelkrim Qabous (Tunisie) et Rachid Barhoune (Maroc). Le Festival de Tétouan rend hommage cette année au réalisateur de Champagne amer et de Les hirondelles ne meurent pas à Jérusalem. «Cet hommage me bouleverse. Le Maroc m'avait ouvert ses bras pour tourner mon premier long métrage, Soleil des hyènes, alors que j'étais interdit de tournage en Tunisie en 1975», s'est souvenu Ridha Behi. Il s'est rappelé aussi de l'aide des professionnels marocains, Noureddine Saïl et Souhaïl Ben Barka, lors de ces moments difficiles. Le dernier film de Ridha Behi, Dima Brando, qui était présent au Festival du film arabe d'Oran en 2011, a décroché le prix du Meilleur réalisateur au Festival d'Alexandrie en 2012. «La situation en Tunisie ne me permet plus de travailler sur le cinéma. Je ne sais pas quoi faire : partir terminer mes jours en Belgique ou au Maroc ! Même si, depuis mon enfance, j'ai toujours vécu et accepté l'autre tel qu'il est, accepté de vivre entre deux mondes», a soutenu Rhida Behi. L'autocensure des cinéastes tunisiens est une véritable hantise pour le réalisateur de Seuils interdits.