Le réalisateur tunisien a raconté, avec succès, l'histoire d'un petit coin de terre, où les individus qui le peuplent rêvent de l'Atlantide, cette citée perdue…engloutie. Comme les espoirs des protagonistes. Entre le “Moi” et l'“Autre”, il y a certes de la distance, mais il y a surtout de la complexité. Même si l'univers est construit sur des antagonismes, l'expérience humaine nuance ce monde et lui donne du sens. C'est ce que le cinéaste tunisien, Ridha Behi, nous a montré dans son long-métrage Dima Brando, projeté, avant-hier après-midi à la salle Essaâda d'Oran, dans le cadre de la compétition du 5e Fofa. Dima Brando commence par une mise en abyme, où on voit le réalisateur lui-même relater son histoire avec Marlon Brando, un monstre sacré du cinéma. Ridha Behi était entré en contact avec la star dans le but de faire un film sur sa vie, mais hélas, la mort avait été plus forte. Par cette distance que le réalisateur installe avec la fiction, le spectateur est d'emblée placé dans le vif du sujet : le rapport entre le “Moi” et “l'Autre”, d'autant que Ridha Behi explique, dès le départ, que le contexte mondial a changé. Se filmant en train d'écrire, et accompagnant cette image par une voix-off, le réalisateur partage ses profondes pensées, voire ses plus grandes obsessions. Il semble nous dire en filigrane que si la perception que le “moi” (relatif à un “nous”, dans les sens tunisiens, maghrébins, arabes, musulmans) se fait de “l'Autre” (envahisseur, sanguinaire…) n'est pas très reluisante, la conception de “l'Autre” ne l'est pas moins, d'autant qu'après avoir longtemps été construite sur une image orientaliste, largement exotique et forcément réductrice, depuis le 11 septembre 2001, l'arabo-musulman a été diabolisé. Mais l'exception qui confirme la règle existe bel et bien. Marlon Brando en est une. L'image qui au départ était en noir et blanc (accompagnée d'images d'archives et d'extraits de films de Marlon Brando), la couleur intervient et le décor change. L'intrigue commence. Dima Brando est l'histoire d'un village en Tunisie, dans lequel le quotidien et la monotonie pèsent de tout leur poids. Anis, le personnage principal, est un jeune homme qui rêve d'amour et d'horizons lointains. Un jour, le village calme et paisible se transforme en un lieu de tournage, puisqu'une équipe américaine s'installe dans ce petit coin tranquille pour tourner le film l'Atlantide. Ridha Behi montre, avec grande subtilité, comment les équipes de tournages étrangères exploitent les populations locales, et les différents clichés et autres idées préconçues dont ils n'arrivent à se départir. La star du film, James, tombe sous le charme d'Anis, et tente de le convaincre que sa ressemblance avec Marlon Brando pourrait lui ouvrir les portes d'Hollywood. Le jeune homme, le cœur plein d'espoir croit à l'histoire de James et décide de tenter l'aventure hollywoodienne, mais pour cela, il lui faut non seulement beaucoup d'argent mais également un visa. Jeunesse perdue en Atlantide Beaucoup d'événements s'ensuivent et la tragédie finit par pointer le bout de son nez. Avec l'énergie du désespoir, Anis tente d'émigrer clandestinement. Ce sera le geste de trop ! Cette intrigue est entrecoupée par des images représentant des tournages qui ont été réalisés en Tunisie, et qui soutiennent le propos du film. La proposition sincère et puissante de Ridha Behi, a été appuyée par une exceptionnelle image, où le cinéaste nous a épargné les cartes postales superflues, les symboles contrefaits et les messages inutiles. Il a plutôt truffé son film de clins d'œil (aux films de Marlon Brando, à Shakespeare (le Roi Lear, Hamlet)), de références, de codes et de messages subliminaux. En effet, il existait des scènes codées annonciatrices des évènements qui allaient se produire (une vue sur le cimetière de Sidi Bousaïd qui annonçait un destin funeste ; la scène de la jeune femme lavant la laine, ce qui annonçait le retour éminent d'Anis ; Atlantide, le titre de la fiction tournée dans le village est une référence à l'émigration clandestine…). La dimension mystique est largement présente dans le long-métrage, avec notamment la scène de retrouvailles entre Anis et sa dulcinée dans le mausolée de Sidi Jabeur, ce qui exprime la pureté des rapports entre les deux amoureux, mais également la grande ouverture de la pensée mystique, et par extension de l'Islam. Le réalisateur tunisien a raconté, avec succès, l'histoire d'un petit coin de terre, où les individus qui le peuplent rêvent de l'Atlantide, cette citée perdue…engloutie, comme les espoirs des protagonistes. Tout comme le projet avorté de Ridha Behi avec Marlon Brando, Dima Brando est l'histoire d'une vie heureuse reportée… Durant le débat, les intervenants ont reproché à Ridha Behi certaines scènes “audacieuses”, tout en signalant la présence d'enfants dans la salle. Et lui de répliquer : “Peu avant le début du film, j'étais à l'extérieur de la salle et dès que je voyais des personnes accompagnés d'enfants rentrer, je leur demandais de ne pas les faire entrer. Mais ce n'est pas mon travail de faire cela, c'est aux gens du festival d'avertir le public.” S. K.