Le film croate Chemin de Halima, d'Arsen Anton Ostojic, est un véritable chef-d'œuvre. Tetouan (Maroc) De notre envoyé spécial Tout est soigné dans Chemin de Halima (Halimin Put, en croate), le long métrage du Croate Arsen Anton Ostojic, projeté, lundi soir, à la salle Avenida à Tétouan, au nord du Maroc, à la faveur du 19e Festival international du cinéma méditerranéen. Tout. Du scénario, inspiré de faits réels et bien écrit par Fedja Isovic, aux images, à la lumière, à la poésie de la narration et, bien entendu, au jeu. Jeu impeccable, fort et dense de Alma Prica (Halima), Olga Pakalovic (Safia) et Mijo Jurisic (Slavomir). Arsen Anton Ostojic a eu recours aux techniques cinématographiques les plus simples et finalement les plus belles pour créer une œuvre qui confirme, encore une fois, que pour voir des films de qualité, des films frais et poétiques, il faut se tourner vers... l'Est. Vers ces Balkans, terre de tant de créations, d'art, de spiritualité mais également de tourments et de douleurs. Justement, l'histoire de Chemin de Halima (Halima's path, en anglais) commence dans la verdoyante campagne bosniaque à la fin des années 1970. Une époque de stabilité et de coexistence pacifique mais prudente, entre musulmans et chrétiens orthodoxes. Dans un village, une relation amoureuse liant safia, une musulmane, à Slavomir, un chrétien, va bientôt bientôt «muter» en drame. La jeune Safia se réfugie, par une nuit de pluie, chez sa tante Halima. «Mon père va me tuer», lui crie-t-elle. La famille de Safia refuse toute idée de mariage avec un chrétien. Et la mère de Slavomir ne veut pas de musulmane chez elle. Les deux amoureux tentent de braver le poids des interdits et du rejet familial. Halima est stérile et Safia est enceinte. Que faire ? L'amour peut être défait parfois devant la folie des hommes. La sale guerre des Balkans passe par là. Les troupes du sinistre Milosevic massacrent les musulmans au nom d'un nationalisme criminel et d'un racisme d'une rare violence. Halima, Safia et leurs familles sont happées par le conflit. Avec les flash-back bien soignés et des contrechamps artistiques, Arsen Anton Ostojic restitue l'ampleur du drame humain et évoque la guerre sans la montrer. Tout est dans la force du regard de Halima qui va à la recherche de son mari et de son fils adoptif, Mirza. Les charniers de la Bosnie dévoilent l'horreur. Les exécutions extrajudiciaires ne sont certes pas une invention balkanique, mais les victimes furent si nombreuses que le monde civilisé devrait avoir honte. Comme demain il le sera après la fin du conflit syrien ! Dans Chemin de Halima, les ossements sont déposés par terre dans un hangar blanc. Des vies, des rêves, des espoirs, des énergies réduits à des ossements, à des restes d'êtres humains en raison d'un guerre qui n'avait aucun sens, sauf à faire voler en éclats l'ex-Yougoslavie. Halima et Safia finiront dans leur petit quête de vérité par faire une terrifiante découverte. On comprend alors pourquoi la vérité fait toujours peur. Autant que la justice. C'est là où se concentre tout le génie d'Arsen Anton Ostojic pour dire, sans grande philosophie, que la guerre est finalement un mal contemporain qui jette ses tentacules partout et sans arrêt. Pour peu qu'on cède un peu au nationalisme, au fondamentalisme ou aux théories du chaos et tout devient possible ! Halima, qui n'a pas cessé de tricoter des pulls en laine pour son fils disparu, a cru jusqu'au bout à l'espoir d'un retour, alors que Safia (devenue Sofia dans un village chrétien) s'est acrochée jusqu'à la dernière ligne à l'amour. Coproduit également par la Slovénie et la Bosnie Herzégovine, Chemin de Halima est probablement le film le plus expressif et le plus abouti sur le drame des Balkans jamais réalisé. L'Histoire, la grande, a retenu que la folie meurtrière avait commencé en 1991, en Slovénie, pour se répandre ensuite en Croatie puis en Bosnie et au Kosovo. Arsen Anton Ostojic, qui fut formé à l'Académie des arts dramatiques de Zaghreb, n'avait pas besoin de remonter le fil du temps. Son œuvre se suffisait elle-même. Elle devrait inspirer ceux, qui en Algérie, continuent d'ignorer dans leurs créations artistiques, cinématographiques surtout, les violences des années 1990. Arsen Anton Ostojic, 48 ans, est connu pour d'autres films à succès, tels que A wonderful night in Split (une merveilleuse nuit à Split), sorti en 2004, et No one's son (Le fils de personne), produit en 2008. Le public du Festival international du cinéma méditerranéen de Tétouan a eu droit, lundi soir également, à un film d'un autre style : El muerto y ser feliz (Le mort et être heureux) de l'Espagnol Javier Rebollo. Il s'agit d'un étrange road-movie qui se déroule dans les profondeurs de l'Argentine. Nous y reviendrons dans nos prochaines éditions. L'Algérie est en course, cette année, avec Yema de Djamila Sahraoui, dans la catégorie des longs métrages, et Demande à ton ombre de Lamine Ammar Khodja dans les documentaires. La direction du Festival de Tetouan, menée par Ahmed Hosni, consacre un hommage particulier au cinéma algérien cette année, en coordination avec l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). Une douzaine de films algériens entre courts et longs métrages sera projetée. «Cinquante-cinq ans du cinéma algérien» fera l'objet d'un débat animé par les critiques Ahmed Bejdaoui et Nabil Hadji.