Le président Bouteflika a-t-il piégé les autorités françaises et s'était-il piégé en maintenant son rendez-vous médical à l'hôpital militaire parisien du Val-de-Grâce pour « un contrôle médical de routine prévu de longue date », selon les déclarations du ministère français des Affaires étrangères confirmées jeudi par la partie algérienne à travers un communiqué de la présidence de la République ? Le premier séjour de Bouteflika dans la capitale parisienne où il avait suivi des soins médicaux pendant près de trois semaines avait suscité une vive polémique dans les milieux de la droite et de l'extrême droite française poussant le cynisme jusqu'à s'interroger si la facture d'hospitalisation du président algérien avait été honorée par l'Algérie. Après cet accueil plutôt mitigé qui avait mis quelque part dans l'embarras les autorités françaises on était loin d'imaginer que Bouteflika allait remettre ça surtout pas après ses déclarations fracassantes sur le « génocide identitaire » commis par la France en Algérie qu'il avait dénoncé lors de sa dernière visite à Constantine. Le bon sens politique le plus élémentaire aurait voulu que Bouteflika ne tirât pas le diable par la queue sachant qu'il est appelé à se déplacer de nouveau en France pour un suivi médical post-opératoire. La première lecture qui s'impose après le déplacement inattendu de Bouteflika en France dans la conjoncture politique actuelle où les relations entre les deux capitales sont traversées par des courants froids est d'ordre médical. Selon toute vraisemblance et pour y avoir déjà été opéré et suivi à l'hôpital du Val-de-Grâce et par souci d'efficacité, le chef de l'Etat n'avait pas d'autre choix que de s'en remettre à la même structure et équipe médicales qui connaissent bien son dossier médical. Bouteflika aurait pu, bien évidemment, faire appel à d'autres services hospitaliers étrangers doués de compétences également éprouvées dans l'hypothèse bien entendu où son suivi médical ne pouvait pas se faire en Algérie pour des raisons de compétences ou d'équipements appropriés au type de soins et aux contrôles qui devraient lui être prodigués et que nous n'aurions pas. S'il avait choisi cette seconde option, son geste aurait été perçu par les autorités françaises comme une bouderie politique avec toutes les conséquences diplomatiques que cela aurait pu avoir fatalement sur les relations algéro-françaises qui sont déjà aujourd'hui au milieu du gué. Un mythe brisé C'est là le second niveau de lecture auquel appelle ce nouveau séjour médical parisien de Bouteflika qui aurait été précédé selon l'Agence France presse citant des sources médicales françaises par deux autres déplacements depuis son retour en Algérie après les premiers soins qu'il avait subis à l'hôpital du Val-de-Grâce. Si l'on écarte la thèse de la nécessité médicale absolue en ce sens que Bouteflika aurait bien pu, s'il l'avait voulu, effectuer son contrôle médical ailleurs qu'en France à partir du moment où il a déjà un dossier médical et que sa maladie est officiellement diagnostiquée et traitée, il reste alors l'argumentaire politique. Car après tout, même si le niveau de la médecine a atteint aujourd'hui en France un seuil de compétitivité et de développement appréciable, la France n'a pas pour autant dans le monde le monopole du savoir-faire et de la technicité dans le domaine médical. Bouteflika a certainement mesuré les conséquences politiques qui auraient pu en découler s'il avait pris la décision, dans le sillage de son offensive sur le dossier de la mémoire qui n'a forcément pas plu aux milieux nostalgiques de la France coloniale, d'annuler son déplacement en France et d'aller faire son contrôle médical ailleurs. Vue sous cet angle, la présence de Bouteflika sur le sol français officiellement pour raisons médicales pourrait se décliner comme un geste politique d'apaisement que le chef de l'Etat a voulu délivrer aux autorités françaises et particulièrement au président français Jacques Chirac auquel le lient des relations personnelles et dont il partage au plan du principe un projet noble et ambitieux : la signature du traité d'amitié contrarié par le poids de l'histoire. En se rendant en France alors qu'il sait qu'il n'était pas le bienvenu et qu'il allait mettre le président Chirac dans un réel embarras Bouteflika a-t-il voulu montrer aux autorités françaises que les relations entre les deux pays ont atteint un point de non-retour et ne pourraient pas être altérées par quelque contentieux que ce soit, aussi lourd soit-il que celui de la mémoire ? En cela il n'est pas hasardeux de s'interroger si la présence de Bouteflika en ce moment précis en France n'est pas toute diplomatique avant d'être médicale. En tout état de cause, parce qu'elle intervient dans un contexte particulier dans les relations algéro-françaises, elle ne pouvait pas avoir un caractère strictement médical. D'une certaine manière, Bouteflika est allé au secours de Chirac qui a bien du mal à vendre son traité d'amitié avec l'Algérie, un projet qui était déjà loin de faire le consensus dans la classe politique et l'opinion françaises. Les dernières déclarations du chef de l'Etat algérien ont cristallisé encore davantage l'opposition à un tel projet dans l'hexagone. Les réactions d'hostilité de la droite et de l'extrême droite françaises à la présence de Bouteflika en France sont le signe que l'événement dépasse le cadre médical pour prendre une dimension foncièrement politique. Directement ou indirectement Bouteflika s'est invité dans le débat électoral français tout en enlevant à la droite et à l'extrême droite un argument de poids en brisant ce mythe qui lui colle à la peau à savoir qu'il n'est pas l'homme qui nourrit et qui représente le bastion le plus avancé du courant nationaliste anti-français en Algérie. On ne « s'invite » pas dans une maison en se sachant indésirable. En se rendant de nouveau en France dans un climat plutôt défavorable Bouteflika a tout simplement coupé l'herbe sous le pied aux milieux nostalgiques hostiles à la refondation des relations entre les deux pays et les deux peuples lesquels saisissent la moindre occasion, le moindre couac, pour sonner l'hallali en tentant, de manière désespérée et dans un vain combat aux relents néocolonialistes, de rallier l'opinion française à leur thèse selon laquelle l'Algérie et la France sont historiquement et génétiquement irréconciliables.