L'homme qui vient de disparaître a commencé par servir une cause dans la formation indépendantiste du PPA-MTLD, puis la Révolution en s'engageant dans la lutte armée dès son déclenchement en Novembre 1954 et enfin l'Etat, en en conduisant les tragiques destinées au lendemain de l'assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992. Peu loquace, Ali Kafi est un dirigeant qu'on ne découvre qu'une fois lus ses mémoires publiés en 2002 (*). De son passage à la tête de la République comme président du Haut-Comité d'Etat (HCE), foin de cela. Non qu'il en cultivât un quelconque mystère, une dissimulation lambda ou une prudence déplacée. On connaît l'homme. Il avait les pieds sur terre, comme on dit, et sa gouaille iconoclaste, redoutée de tous, allait parfois au-delà de ses pensées. En effet, pour ceux, nombreux, qui ont servi soit à ses côtés ou alors sous ses ordres, l'ancien chef de la Wilaya II (Nord-Constantinois), ne tournait pas sa «langue sept fois» avant «d'exploser» sa façon de penser. Il semblerait que l'homme d'action qu'il s'est voulu être a été happé par la politique pour, un jour, accepter les plus hautes charges de l'Etat comme une exigence historique qui se dressait devant lui, alors que le pays allait sombrer dans ses heures les plus terribles, lesquelles allaient le mettre en danger jusque dans son existence. Il acceptait, en toute conscience, cette malcommode vérité qui s'imposait à lui plus qu'elle ne s'offrait. Il a pris ses responsabilités au moment sans doute le plus critique de l'histoire de l'Algérie moderne. Es qualité, dira-t-on, puisqu'il réunissait autour du secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) qu'il était le consensus des institutions représentées au sein de l'instance supérieure dirigeante du pays qu'était le HCE. Il ne fallait pas que du courage ou de la vaillance pour endosser le blanc burnous du pouvoir au moment où celui-ci vacillait sous les coups de l'islamisme utilisé comme bélier idéologique afin de désagréger les derniers fondements de l'Etat-nation, ou du moins ce qu'il en restait après plusieurs années d'errance. L'ancien colonel de la Wilaya II a accepté les choses comme elles venaient. Froidement ! Il ne se faisait pas d'idées au-dessus de ses possibilités politiques réelles. Il connaissait le système. Il savait jusqu'où il ne pouvait pas s'engager. Est-ce un trait de caractère ? Il raconte dans ses mémoires qu'un jour, un militant de ses amis, du nom de Mahmoud Benafir, qu'il avait rencontré en juillet 1954, l'avait informé des préparatifs de l'insurrection du 1er Novembre. «Il tenta de me convaincre, dit-il, que les frères avaient besoin de moi et voulaient que je les rejoigne. Je refusais de m'engager sur «le chemin des illusions» même si chacun de nous était prêt depuis des années à une telle action, bien plus, nous l'attendions avec impatience et intérêt. Mais que cette action vienne soudainement, en pleine crise aiguë du parti, rendait difficile de la prendre au sérieux et de ne pas voir en elle un certain esprit de vengeance.» «La Révolution a éclaté et les choses ont changé.» Ali Kafi avait parfois des jugements à l'emporte-pièce qui lui ont valu bien des mises au point. On citera notamment ses graves accusations contre Abane Ramdane, qui ont soulevé un tollé dans l'opinion à tel point que plusieurs auteurs et non des moindres ont résolu de lui répondre et souvent sous la forme de volées de bois vert. Il ne s'en démontait pas pour autant et demeurait de glace, solidement ancré dans ses certitudes. Ali Kafi, ravi à l'affection de ses nombreux compagnons d'armes et des siens, restera aussi pour l'histoire l'homme qui a dit non aux purges pendant la guerre de Libération. Alors que certains officiers avaient, bien malgré eux, «succombé à cette ruse de guerre», pour reprendre le mot de Lamine Khène, ancien camarade de combat du défunt, qui succédait à Ben Tobbal. Ce dernier avait en effet rejoint l'extérieur en avril 1956, en compagnie des membres du CCE (Abane Ramdane, Krim Belkacem, Saâd Dahlab, Benyoucef Ben Khedda) sans Larbi Ben M'hidi qui avait été arrêté puis assassiné. Lamine Khène témoignait dans un entretien (**) qu'il nous avait accordé que «c'est peut-être une chance, mais personnellement je la mets au crédit, d'abord d'un homme que je considère comme un des plus intelligents chefs que j'ai connus. Je veux parler de «Saout El Arab», Salah Boubnider. Mais ce n'est pas le seul, Ali Kafi qui était en charge de la Wilaya II et lui se consultaient, tout comme ils consultaient les autres camarades…». L'histoire retiendra de lui qu'il n'a pas tourné le dos à l'adversité et qu'il ne s'est pas dérobé au moment où le pays, au plus mal, l'a sollicité. (*) Ali Kafi. Du militant politique au dirigeant militaire. Mémoires (1946 – 1962). Casbah Editions. Alger 2002. (**) Lamine Khène : officier de la Wilaya II. Entretien paru dans El Watan Spécial 50e anniversaire du 1er Novembre 1954 (31 octobre 2004).