Ils sont jeunes, pleins d'humour et ont décidé de créer leur propre espace de libre expression. Surfant sur le phénomène podcast qui a créé des émules outremer, Youcef, Adel, Chemseddine et bien d'autres croquent avec malice les travers de la société algérienne. Un texte bien ficelé, un franc-parler, une actualité chaude et une bonne dose d'autodérision. Voilà la recette de base du podcast réussi, directement inspiré des leaders du genre en France : Norman fait des vidéos ou encore Cyprien, eux-mêmes largement inspirés par une tendance née aux Etats-Unis. De leur côté, les Algériens ont chacun leur petit truc pour se distinguer. Youcef Zarouta a complètement assimilé les codes du podcast : montage dynamique, incrustation de texte, musique accrocheuse : tout y est avec, en prime, des images d'archives comme dans sa dernière vidéo : Les chansons de raï en Algérie où il porte un regard dubitatif sur la nouvelle scène raï. Il faut dire qu'il avait d'abord commencé par des chansons parodiques avant de se convertir au podcast. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le public est réceptif, puisqu'il en est à presque 5 millions de vues, toutes vidéos confondues. C'est l'un des youtubers algériens les plus plébiscités. D'autres encore, à l'image de Zanga Crazy, misent sur les parodies de publicités comme leur Réponse Mazal wakfine, parodie d'une campagne publicitaire d'un opérateur téléphonique. Le texte de la chanson est revu avec une ironie délectable, pointant du doigt petits et grands malheurs du quotidien sur fond de patriotisme. A l'origine de l'aventure, Dadi avait commencé par un simple podcast pendant quelques semaines. Le succès immédiat et les encouragements de ses amis ont mené à la création du groupe Zanga Crazy, littéralement : «Zenkat l'hbal». Rejoint en octobre 2011 par Samir, Ramzi et Fayçal, Dadi pouvait désormais s'attaquer à des projets plus ambitieux. La répartition des tâches s'est faite très naturellement «Ramzi étudie la musique, Samir est doué pour la comédie et Fayçal écrit les scénarios.» Quant au rendu assez professionnel du cadrage et du montage, on le doit au benjamin du groupe, Dadi, monteur chez El Djazaïria. Le petit groupe vise à représenter «la voix du peuple» en traitant des sujets qui le concernent. Et le public suit puisqu'il totalise, à ce jour, presque 2 millions de vues sur youtube. L'un des derniers à se lancer dans l'aventure a 19 ans et se fait appeler Adel Kitch. Il se définit lui-même comme quelqu'un de «rigolo» et ne se prend pas très au sérieux : «Je vois ça comme un délire et ma priorité est de m'éclater et d'amuser mes amis.» Les femmes, les vacances ou encore la musculation, Adel puise son inspiration dans son quotidien et ses expériences. Il éprouve beaucoup de satisfaction à avoir de nombreux retours positifs et l'opportunité de faire de nouvelles rencontres et partager ses passions. L'autre visage du débat social 2.0, c'est la chronique radio. L'un des rares à exceller en la matière s'appelle Nadir, 24 ans. Il a fait ses armes à Alger Chaîne III où il officie encore dans l'émission «Tawa3na». Repérées au laboratoire de la Chaîne III, ses chroniques «sarcastiques, ironiques, presque poétiques et peu humoristiques», comme il les définit lui-même sur sa page facebook, sont désormais disponibles sur Youtube. «D'une part, j'ai créé ces chroniques pour garder un lien avec la radio, alors que je m'étais installé en Angleterre pendant quelques mois. Mais surtout, parce que la radio ne m'offre pas toute la liberté d'expression que je voudrais avoir. Parfois, les gens ont besoin de termes crus, justes et vrais», explique-t-il. Pour Nadir, il n'y a aucun doute là-dessus, chroniques et podcast contribuent largement au débat public. Débat public ? Et il n'est pas le seul à le croire. Dadi de Zanga Crazy est persuadé que le podcast va s'imposer comme un véritable moyen d'échange et de débat social et croit fermement à la pérennité du phénomène. Leur succès est tel qu'ils deviennent une véritable caisse de résonance. «Il arrive qu'on nous contacte pour nous demander de nous exprimer sur un sujet particulier, ou pour réagir à un problème précis rencontré», explique Dadi dans un sourire, visiblement surpris mais fier. De drôles de sollicitations qui leur ont inspiré un concept «Hadra grauit» où ils répondent avec humour à des problèmes qu'on leur a soumis. «Beaucoup de personnes n'arrivent pas à faire passer leur message, je profite de mon audience pour transmettre le message et donner mon propre avis», déclare Youcef Zarouta, de son côté. Adel est du même avis : «En Algérie, on a encore du mal avec le second degré et on ne peut pas rire de tout avec tout le monde. Ça avance ; il y a trois ans, on ne pouvait pas évoquer des sujets dont on peut parler aujourd'hui», explique-t-il. Cependant, Adel se dit «pessimiste» et pense que ce phénomène finira par s'essouffler dans quelques années, comme il s'est essoufflé sous d'autres cieux. Lui-même ne se voit pas construire sa carrière là-dedans et préfère voir l'expérience comme un simple «délire» de jeunesse. Des débouchées ? Pourtant, ils sont plusieurs à avoir réussi à gravir les échelons, à l'image d'Irban Irban, qu'on découvrait en ligne il y a quelques années et qu'on écoute désormais sur les ondes de la radio, rappelle Nadir. «On voit déjà plusieurs podcasteurs médiatisés et devenir de véritables acteurs», précise Dadi. Les Zanga Crazy eux-mêmes ont déjà quelques propositions et des projets en cours dont le plus important est de créer leur propre entreprise de production audiovisuelle. Youcef Zarouta, qui s'est déjà fait confier un rôle l'été dernier, travaille sur une série pour le Ramadhan prochain et croule sous les propositions des radios et chaînes de télévision. Mais s'il y en a un qui a tiré son épingle du jeu, c'est bien Chemsseddine Lamrani, alias DZ Joker, l'un des premiers podcasteurs algériens, qui officie désormais sur les plateaux de télévision et les studios de cinéma.