Mme Carla Del Ponte, membre de la commission d'enquête de l'ONU sur les violations des droits de l'homme en Syrie, a jeté dimanche un pavé dans la mare en allant bien au-delà de ce qui n'est encore que de simples supputations, sinon des accusations aussi vagues qu'imprécises, sur l'aggravation du conflit syrien. Et là, il s'agit du recours aux armes chimiques. Des Etats et même l'ONU se sont emparés de cette question sans jamais aller au fond des choses, manquant d'éléments, faisaient-ils valoir alors. Pourtant, l'ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) n'en fait pas état et apporte l'élément manquant à cette chaîne d'accusations. Aussi, affirme-t-elle, les rebelles syriens ont fait usage d'armes chimiques, dont du gaz sarin, tout en ajoutant que «nous ne pouvons pas exclure que le gouvernement ait utilisé des armes chimiques». Mais elle tient à insister sur un point qui concerne les éléments en sa possession : «Jusqu'à présent, nous avons recueilli des témoignages concernant l'utilisation d'armes chimiques, en particulier du gaz innervant, par les opposants, et non par le gouvernement.» D'où tient-elle de tels éléments qui auraient échappé à de nombreux Etats ? Les équipes de la commission d'enquête, mandatée depuis 2011 par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, n'ont jamais eu accès en Syrie. La commission mène donc ses enquêtes en se rendant notamment dans les pays voisins de la Syrie, où ses enquêteurs interrogent des réfugiés, des victimes et des médecins notamment. Il se trouve que de telles conclusions sont contestées d'abord par l'ONU qui, avec une remarquable célérité, a rectifié les propos de Mme Del Ponte, les transformant en soupçons. La commission en question va même loin en affirmant qu'elle «n'avait pas obtenu de résultats permettant de conclure que des armes chimiques ont été utilisées par les parties au conflit». Ce qui, par conséquent, met en doute jusqu'à l'usage d'armes chimiques, alors même que les Etats-Unis en seraient convaincus, quant à eux, comme l'attestent leurs déclarations, en fait des réactions aux affirmations de Mme Del Ponte. «Nous sommes hautement sceptiques quant aux affirmations selon lesquelles l'opposition (syrienne) aurait pu utiliser des armes chimiques», a affirmé le porte-parole de l'Exécutif. Peu auparavant, un porte-parole du département d'Etat soulignait que «tout usage d'armes chimiques en Syrie proviendrait, selon toute vraisemblance, du régime Al Assad. Nous pensons que ces armes sont contrôlées, mais nous savons aussi que le régime Al Assad a démontré être prêt à une horrible escalade de la violence contre les Syriens». Ou encore cette affirmation selon laquelle les Etats-Unis n'avaient «pas d'information laissant penser qu'ils (les rebelles) ont la capacité ou l'intention de déployer ou d'utiliser de telles armes». Pensant probablement avoir tout dit, Mme Del Ponté observe un mutisme total depuis lundi, considérant donc qu'elle n'a plus rien à ajouter. Ses révélations interviennent alors que le débat a rebondi ces derniers jours après la révélation, selon plusieurs services de renseignement occidentaux, de l'utilisation d'armes chimiques par les forces du président Al Assad, ce qui constitue alors «une ligne rouge» pour l'Administration américaine. Là aussi, les preuves manquent, ainsi que le souligne le président Barack Obama. La Russie aborde cette question autrement en déplorant le retard mis, selon elle, par l'ONU à réagir à la demande du gouvernement syrien qui réclame une enquête sur un recours présumé aux armes chimiques par l'opposition syrienne. Ce qui rend encore plus complexe le conflit syrien. C'est bien la seule et triste vérité. L'ONU appréhendait sa militarisation, mais pas à un tel degré. Rien ne semble pouvoir l'arrêter.