En dépit des informations mettant en cause directement Chakib Khelil, Réda Hameche et Farid Bedjaoui, le magistrat instructeur n'a pour l'instant fait que leur adresser des convocations en tant que témoins, mais sans suite. L'affaire Sonatrach n'en finit pas de surprendre. Alors que de nouveaux éléments seraient entre les mains du juge de la 9e chambre, du pôle pénal spécialisé du tribunal de Sidi M'hamed, près la cour d'Alger, auquel le dossier a été confié, la défense des personnes récemment inculpées par le même magistrat n'a toujours pas reçu le dossier de fond. Pour des sources judiciaires, «un rapport détaillé contenant d'importantes révélations est depuis quelques semaines entre les mains du juge. Celles-ci proviennent surtout d'Italie, mais également de Genève et des Emirats, mais n'ont été suivies d'aucun acte de procédure de la part du juge». Selon nos interlocuteurs, les dernières inculpations auxquelles a procédé le magistrat instructeur sont en rapport avec les réponses des commissions rogatoires délivrées à la justice suisse par le juge de la 8e chambre du même pôle lorsqu'il instruisait l'affaire Sonatrach I et parvenues au mois de novembre 2012, après la clôture de ce dossier (Sonatrach I). Il aura fallu l'éclatement du scandale ENI-Sonatrach en Italie (après l'inculpation de Saipem Algérie en 2012) pour que ces nouvelles révélations soient suivies de l'ouverture d'une information judiciaire puis d'une offensive du magistrat instructeur qui a délivré 17 mandats de perquisition des bureaux et domiciles des personnes concernées. Parmi celles-ci, l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, son homme de confiance (et directeur de cabinet de l'ex-PDG de Sonatrach) Réda Hameche, ainsi que d'autres cadres dirigeants de la compagnie pétrolière et des personnalités dans le domaine de l'énergie. Aucune copie du dossier n'a été transmise aux avocats Dans le lot, seuls l'ex-vice-président chargé des activités commerciales Chawki Rahal (placé sous mandat de dépôt), son épouse (mise sous contrôle judiciaire) Nouria Meliani-Mihoubi, directrice du bureau d'études CAD (placée sous mandat de dépôt) et Abdelmadjid Attar, ancien PDG de la compagnie (placé sous contrôle judiciaire) ont été entendus en tant que témoins, puis inculpés par le juge. Plus d'un mois après, aucun avocat constitué dans le cadre de ce nouveau dossier n'a été capable d'affirmer si ses mandants ont été poursuivis sur la base des réponses des commissions rogatoires parvenues en novembre 2012 ou alors sur la base des nouveaux éléments apparus à la lumière de l'affaire ENI-Sonatrach. «A ce jour, nous n'avons toujours pas reçu la copie du dossier et, de ce fait, nous n'avons aucune idée de la date des réponses de la commission rogatoire», affirment de nombreux avocats. L'on s'interroge pourquoi le juge n'a toujours pas notifié les copies du dossier aux parties ; est-ce pour éviter toute fuite d'information impliquant des personnalités ? Nous n'en savons rien. Ce qui est certain, c'est que parmi les révélations contenues dans les réponses de la commission rogatoire, certaines impliquent de hauts cadres de la compagnie pétrolière et du ministère de l'Energie encore en activité et qui, à ce jour, n'ont toujours pas été entendus par le juge. Mieux, en dépit des informations mettant en cause directement Chakib Khelil, Réda Hameche et Farid Bedjaoui, pour ne citer que ceux-là, le magistrat instructeur n'a pour l'instant fait que leur adresser des convocations en tant que témoins, mais sans suite. Pourquoi pour certains le magistrat est allé très loin et, pour d'autres, il est resté prudent ou plutôt «sans enthousiasme», comme l'a souligné et si bien qualifié, mardi dernier, le ministre de la Justice, Mohamed Charfi ? Devant ces questions, il y a lieu de s'inquiéter sur la marge de manœuvre que le juge d'instruction pourrait avoir dans la gestion de ce dossier, ô combien gênant pour ceux qui dirigent le pays. En réalité, en délivrant des commissions rogatoires aux tribunaux étrangers, le juge a non seulement ouvert la boîte de Pandore, mais s'est retrouvé dans l'obligation d'en divulguer le contenu des réponses qui lui parviennent aux parties, au risque d'éclabousser d'autres personnalités. Est-ce la raison qui fait que plus d'un mois après les premières inculpations, la défense n'a toujours pas la copie du dossier de fond ? Est-ce la raison qui explique que les réponses adressées par les tribunaux suisse et italien soient restées dans ses tiroirs aussi longtemps ? Autant de questions qui méritent d'être posées et auxquelles les réponses sont très difficiles à apporter, en l'état actuel de l'instruction.