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Une lettre adressée au président Edouard Herriot (1), le 16 janvier 1925
Militants nationalistes indigènes de Relizane
Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2006

Au moment où les passions se déchaînent outre-mer au sujet des « bienfaits de la colonisation de l'Algérie », et devant les réactions légitimes de notre pays sur la falsification de l'histoire, il est important de publier une lettre émanant d'un groupe de « militants nationalistes de Relizane(2) envoyée au président Edouard Herriot président du conseil des ministres à Paris en janvier 1925.
Cette longue lettre manuscrite (deux grandes pages), biens écrites, où l'audace de ses auteurs et leur courage dressent un vaste tableau noir de la situation politique, économique et sociale des indigènes et expriment le ras-le-bol des populations. Très au fait du sort de leurs compatriotes, ils dénoncent avec minutie et détails la politique de la France en Algérie. Rien n'est laissé au hasard ou à la complaisance. La lettre est une page du vécu, et un récit lugubre du quotidien des musulmans vus et traités comme des sujets par le vainqueur. Oppression, injustice, ignorance, souffrances, misère... Tel était le lot des autochtones. Le code de I'lndigénat (1881), néfaste et inhumain tel un rouleau compresseur, détruisit les hommes, les tribus, la société et les traditions. Les agents de la colonisation agissaient sans pitié : Les caïds « ces requins rouges », allusion faite a la couleur de leur burnous, dominaient par « la terreur et le bon plaisir ». Les administrateurs croyaient civiliser les musulmans par la cravache « comme s'il s'agissait pour eux de dompter des fauves ». Les colons insatiables avaient tous les droits et tous les crédits, ils s'emparaient des terres fertiles, alors que les musulmans subissaient le même sort que les paysans français du temps de Richelieu(3). Le manque flagrant d'écoles (1929, le nombre de petits musulmans dans une école primaire ne dépassait guère 5 à 6%), alors que les musulmans payaient des impôts qui ne leur profitaient nullement On dépouillait, on séquestrait, on minait sans retenue. « Les journaux subventionnés, écrivent les auteurs de cette lettre, nous calomnient et nous traitent d'ingrats. Ah nous sommes des ingrats parce qu'on nous a spolié nos riches plaines et refoulés dans les montagnes incultes et infertiles... Parce que nos pères et frères n'ont pas hésité à aller trouver la mort pour sauver la France (allusion à la guerre 1914/18). Devant cette condamnation unanime et ce procès sans appel du fait colonial adressé au président Herriot par les victimes d'une répression généralisée, étouffante et barbare, sans espoir d'un avenir meilleur, il s'en trouve aujourd'hui, parmi toute une classe en France, un député pied-noir des Alpes-Maritimes, le sieur L. Luca de l'UMP pour parler encore d'une colonisation bienfaisante défiant une réalité criante. Frappé d'une cécité incurable, il ne veut pas admettre l'horreur de la conquête et ses conséquences et choisit une polémique stérile et dépassée que des historiens objectifs et des Algériens meurtris n'écoutent même pas. Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères français, désemparé et tiraillé pense couper la poire en deux : il parle des deux visages de la présence française, la première qualifiée d'horreur (allusion aux premières années de la conquête), la seconde, plus humaine, confiée aux instituteurs, architectes et médecins... En 1929 peu d'années avant la Seconde Guerre mondiale, rares étaient les autochtones qui savaient lire et écrire le français. La santé des indigènes était le dernier souci de l'administration coloniale : disettes, épidémies de typhus et de choléra et manque de soins ravageaient la société indigène. Ce n'est pas l'avis de ces jeunes de Relizane, qui, en 1925 - un siècle après la conquête - ne sentaient aucune évolution palpable. Car la conquête fut brutale du début jusqu'à la fin. La colonisation était indivisible, réfractaire à tout progrès. Les responsables manquaient de lucidité, de générosité et de bonne volonté, ils restèrent sur leur position jusqu'au dernier jour du joug colonial. Après avoir énuméré maintes objections et dénoncé les multiples dépassements, la lettre, sans ménagement, se termine par ces vœux chers aux Algériens : « Permettez-nous, écrivent ces jeunes, Monsieur le président de vous dire, avant de nous séparer, que nous voulons notre Algérie à nous, puisque vous nous empêchez d'accéder à votre France ! » Au regret de vous voir réfléchir, nous vous quittons en souhaitant surtout notre Indépendance. Vu l'intérêt documentaire de cette lettre et la prise de conscience de ses auteurs nous la reproduisons intégralement. Elle intéressera certainement les chercheurs et le public algériens et amènera ceux d'en face à plus de modestie et de raison.
1- Edouard Herriot 1872/1957, homme politique, un des chefs du parti radical socialiste, maire de Lyon et plusieurs fois président du conseil des ministres, président de la Chambre des députés puis de l'Assemblé nationale.
2 - Relizane : La ville européenne fut créée le 24 janvier 1857. Dès 1860, le centre se peupla de Français venus du Midi. Les Espagnols arrivaient de Valence, Murcie, Grenade, Alicante et Almeria, soutenus par l'administration, les Européens cultivaient le coton, le tabac et le blé puis plantèrent des vergers. En 1892, Relizane comptait 7000 habitants (1000 Français, 2000 Espagnols, 600 juifs et 3000 musulmans), les Européens patrons des minoteries, des briqueteries, des fours à chaud et des 80 fermes agricoles et presque de toutes les entreprises ne laissant aux musulmans que les travaux pénibles et harassants. La population musulmane fut concentrée aux « villages nègres » manquant de tout
3 - Richelieu : Cardinal et homme d'Etat français (1585/1642), évêque puis chef du conseil du roi, ruina les protestants et institua le corps des Intendants, qui aux XVII et XViiIes siècles étaient des officiers tout-puissants du pouvoir royal
(*) Notons que ce groupe de jeunes connaissaient bien l'histoire de France.


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