Et pourtant le film qui nous revient en mémoire, aujourd'hui, n'est pas allé à Cannes et son auteur non plus d'ailleurs. C'est Ahmed Zir, le doyen des cinéastes amateurs, toujours cinéaste, toujours actif et toujours à El Eulma, qui, suite à un simple coup de téléphone, nous rappela en quelques secondes, la grande et belle époque du cinéma amateur ou plutôt du cinéma des amateurs, car il nous faut préciser, ici, que ces jeunes réalisateurs n'avaient «d'amateur» que leur non- soumission à une commission de lecture et leur non-financement par un quelconque ministre. En un mot, ils étaient des créateurs libres. Nous ne voulons comme preuve que le magnifique film intitulé Entre quatre murs, de Messaoud Bachouti. Nous avions découvert ce jeune cinéaste de Djelfa, à l'occasion de la deuxième édition du Festival du film amateur qu'organisait la Cinémathèque en 1982, à Médéa. C'était une édition inoubliable, liée au match Algérie-Allemagne, que nous avions suivi dans le bus en fête grâce à un petit transistor. La Cinémathèque algérienne avait eu la belle idée d'organiser ce festival itinérant à partir de 1981, suite à l'information, fournie par un ami responsable des ex-Galeries algériennes, faisant état de la vente en un temps record de centaines de caméras «super 8». Nous savions que ces caméras seraient utilisées, dans leur grande majorité, pour filmer des mariages et des fêtes familiales. Mais, nous savions aussi que des jeunes les utiliseraient pour faire des films. Nous ne nous étions pas trompés. De Tizi Ouzou à Alger, en passant par Médéa, Saïda, Tlemcen et Batna, itinéraire suivant l'implantation des maisons de la culture, les six rencontres organisées nous ont permis de découvrir de jeunes talents. Messaoud Bachouti en est un exemple. Ce jeune enseignant de Djelfa nous avait remis son film en nous disant : «J'aimerais seulement vous montrer mon travail. Je n'aimerais pas être en compétition, car je pense que je n'ai pas le niveau.» Cette franchise nous a poussés à programmer son film en compétition, sans même le visionner bien sûr. Le jour de la projection, nous étions tous sous le charme. Le film est un zoom sur une petite maison de campagne où une jeune adolescente n'a droit à rien : ni d'aller à l'école ni de sortir, pas même le droit d'entrebâiller la porte pour jeter un coup d'œil à l'extérieur. Elle accomplit les tâches ménagères de façon mécanique. Les autres personnages sont filmés comme des ombres et nous paraissent comme inexistants ou presque, alors que la bande son nous donne à entendre de banals bruits familiers de façon répétée. Le jeune Messaoud crée ainsi une atmosphère chargée de monotonie et d'ennui et sa jeune comédienne nous donne l'impression d'étouffer. Les seuls moments où ses yeux s'illuminent, c'est quand le père arrive du marché avec son panier contenant les provisions de la semaine. Avec frénésie, la jeune fille sort les paquets du couffin, verse les produits dans des bocaux et garde soigneusement les papiers journaux dans lesquels ils étaient emballés. Elle range le tout et se retire dans son petit coin. Ses feuilles de papier à la main, elle les défroisse tout doucement, les lisse et les range soigneusement. Ces gestes sont répétés à chaque arrivée du père et du couffin. Au terme du film, elle nous montre sa création, en tournant lentement les pages de la revue qu'elle a confectionnée. Une petite œuvre où tout y est. Toutes les rubriques : politique, société, sport, culture, et même mode. Par ce geste, elle donne au spectateur l'envie irrésistible de feuilleter, à son tour, cette revue et alors seulement un frêle sourire illumine son visage. La partie est ainsi gagnée pour Messaoud et son héroïne ! Depuis cet événement, beaucoup d'eau a coulé sous nos ponts… Messaoud Bachouti a disparu, le Festival du film amateur aussi. Un petit espoir nous habite de nouveau depuis que nous avons vu El Djazira, ce petit chef-d'œuvre de Sidi Boumediene junior, qui nous renvoie à un autre grand souvenir, la découverte, il y a quarante ans, du fameux et déroutant film portant le titre Deux hommes et une armoire signé… Roman Polanski.