Les mythes ont la vie dure et celui de Maria Callas plus que tout autre. Elle avait été une icône du XXe siècle et au-delà l'incarnation d'une vie à la fois accomplie et manquée. Près de trente après sa mort, le 16 septembre 1977, celle qui fut une volcanique diva occupe l'intérêt des médias comme si elle était encore de ce monde. Enquêtes, documentaires, évocations et hommages lui sont consacrés. La chaîne France 2 en fait l'héroïne emblématique de La Callas et Onassis, l'un des temps forts de son programme de 2006. Il y a toutes les raisons du monde pour que Maria Callas fasse encore l'actualité. Sa vie comme sa mort échappaient à la norme. Rien ne prédestinait cette modeste fille d'immigrants grecs établis à New York, les Kalogeropulos, à devenir un monstre sacré adulé sur toutes les scènes du monde. Rien, sauf sa rencontre à Vérone, où elle avait chanté, avec Gianbattista Meneghini, un industriel italien versé dans les matériaux de construction. Ce Meneghini se piquait d'adorer l'opéra et la voix de la jeune Maria Callas - elle avait alors 24 ans - lui coupa le souffle. Maria Callas n'était pas une reine de beauté, loin s'en faut. Boulimique et angoissée, elle exhibait un tour de taille aussi impressionnant de volume que l'était sa voix dans l'aigu. Meneghini s'en accommodait et, mieux encore, il se fera fort d'épouser le jeune prodige et de devenir son Pygmalion. Homme d'affaires intraitable, l'industriel italien sera le manager exclusif de Maria Callas dont il fera une vedette mondiale, transformant la chanteuse bouffie de graisse en diva rayonnante et dominatrice. Il avait fait de cette jeune Grecque inconnue de la grande scène lyrique La Callas. Leur union, plus fondée sur l'intérêt que sur l'amour, dura treize ans. Meneghini, décrit comme âpre au gain, discutait chaque sou des contrats que signait La Callas. La diva s'était peu à peu libérée de son emprise et elle donnait libre cours à son tempérament de femme de tête. Les journaux à sensation découvrirent ce caractère fantasque de la diva et ils en firent l'un de leurs sujets de prédilection. Maria Callas eut quelques écarts de conduite et elle choqua le public italien en abandonnant un opéra en pleine représentation, contraignant le président de la République de l'époque, Giuseppe Saragat, à quitter la salle pour ne pas paraître ridicule. La Callas, au sommet de son art, se croyait au-dessus des présidents et des rois. Ses admirateurs lui donnaient raison et pardonnaient ses frasques qui étaient peu de chose comparées à l'enchantement qu'elle procurait en chantant Bellini, Donizetti ou Puccini. Aujourd'hui encore, on peut le dire, aucune cantatrice ne chante comme elle La Norma de Bellini, Tosca ou Madame Butterfly de Puccini. La Callas avait eu une seule rivale, c'était Renata Thebaldi qui parvint à soutenir la concurrence et à évincer la terrible cantatrice de la scala de Milan. Mais la grande ennemie de La Callas n'était en réalité que La Callas elle-même. Fatiguée de la renommée, du succès, elle avait basculé dans une forme d'autodestruction qui atteindra son comble lorsqu'elle connaîtra Aristote Onassis. Onassis ! Un fauve carnassier qui, parti de rien, était devenu l'un des hommes les plus riches du monde. Maria Callas avait cru que cet homme l'aimait. Tragique erreur qui fera son malheur et sa déchéance. Onassis n'aimait personne, car il en était incapable, sa vraie passion étant l'argent et le pouvoir qu'il procure. La Callas avait été bien naïve de croire que ce carnassier ferait son bonheur. Il lui portera un coup fatal en se mariant avec Jacqueline Kennedy. La diva ne se remettra jamais de ce coup de poignard dans le dos qui la terrassa à tout jamais. Brusquement vieillie, elle s'enfermera dans la solitude, ressassant les douleurs et les frustrations d'une vie qui n'avait été que faussement réussie. Moralement, elle était détachée de la nécessité d'exister. Même la mort d'Onassis ne la guérissait pas de la blessure qu'il lui avait infligée. Au contraire, elle la ravivait. Erratique, fantomatique, Marias Callas se morfondait dans son appartement parisien qui parut à quelques intimes comme un tombeau des illusions perdues. Elle disparaît à l'âge de 54 ans, emportant peut-être les raisons de son renoncement au monde. Elle inspirera des regrets à ceux qui ont été bouleversés jusqu'aux larmes de ses sublimes interprétations de Norma ou Lucia di Lammermoor. D'éternels regrets.