Le Brésil connaît actuellement la plus grande manifestation de son histoire depuis 20 ans. Le géant d'Amérique latine fait face à une révolte sociale atypique : les premiers appels à la manifestations se sont faits via facebook, aucun leader fort – ni syndicat ou parti politique – ne mène les protestations et les revendications restent encore assez floues. Les contestations, menées par des jeunes issus des classes moyennes, témoignent surtout de la défiance de la population vis-à-vis des partis politiques. Ces manifestations rappellent le «mouvement des Indignés» qui avait balayé les Etats-Unis en 2011. Plus d'un million de manifestants ont ainsi envahi jeudi soir les rues de plus de 80 villes du pays autour de revendications multiformes pour des services publics dignes, contre la corruption de la classe politique, sur fond de critiques contre les sommes colossales – 11 milliards d'euros – dépensées pour l'organisation du Mondial de football dans un an. Ce mouvement de fronde sociale, qui fait boule de neige depuis une dizaine de jours, est animé par des jeunes, majoritairement issus de la classe moyenne, qui rejettent farouchement toute étiquette politique ou syndicale. Ils ont obtenu gain de cause, cette semaine, sur la revendication initiale qui avait servi de détonateur à cette fronde sans précédent, en obtenant des grandes villes du pays qu'elles annulent une récente augmentation de 7% du prix des transports en commun. Mais rien ne semble augurer d'un essoufflement de ce mouvement qui se mobilise sur les réseaux sociaux, sans leaders forts avec qui négocier ni revendication très concrète. Au point où les autorités publiques ne savent pas comment gérer cette crise. Négocier ? Oui, mais avec qui ? Le journal brésilien la Gazeta mercantil expliquait, dans son édition d'hier, que la situation personnelle de la présidente Dilma Rousseff paraît délicate : «Une ancienne étudiante militante peut difficilement faire réprimer les manifestants par les forces de l'ordre qu'elle a autrefois combattues.» D'un autre côté, elle ne dispose pas du charisme, de la roublardise ni des talents de négociateur de son prédécesseur Lula. Il reste qu'elle a annulé une visite d'Etat au Japon prévue du 26 au 28 juin et a convoqué, hier, une réunion de crise avec ses ministres les plus proches pour tenter de désamorcer la crise. Pour la première fois depuis le début du mouvement, il y a une dizaine de jours, des organisations de la société civile et des partis de gauche ont annoncé leur intention de se joindre aux cortèges avec leurs banderoles. Ils ont été accueillis par des cris et des invectives : «Opportunistes», «Partez au Venezuela» «Partez à Cuba»… Mais à Sao Paulo, des militants du Parti des travailleurs (PT, gauche au pouvoir) ont été reçus par des bordées d'invectives. «On a des manifestants sans leader face à des hommes politiques sans leadership», écrivait hier le journal brésilien Folha.