-Va-t-on assister à une réelle transition au Qatar ou à une simple passation de pouvoir du père au fils ? Un petit peu les deux. Sur le plan politique, on a une réelle transition : un émir qui cède le pouvoir car il est âgé, malade, mais je pense qu'il y a d'autres facteurs explicatifs. L'émir a la sensation «que son travail est fini». Il a considérablement fait émerger le Qatar dans le domaine économique, sportif et culturel. On peut critiquer l'émir sur beaucoup d'aspects, mais on peut quand même considérer que le bilan à ce niveau est exceptionnel dans le sens où le Qatar a une trajectoire aujourd'hui, qui n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était en 1995. Maintenant, dans les fondamentaux, je pense que cette passation de pouvoir n'aura pas de grande influence quant à l'orientation des décisions importante pour la politique du pays. Peut-être que ce qui changera, ce sera le processus dans la prise de décision. On se rappelle par exemple de l'attitude du cheikh Hamad lors de sa visite à Ghaza il y quelques mois. Je pense que son fils n'a peut-être pas ce tempérament de vouloir s'afficher de manière aussi ostensible sur le plan international, mais ce qui est sûr, c'est que globalement, la politique ne changera pas. -Pensez-vous que cheikh Tamim sera plus discret lors de ses visites à l'étranger? Je pense que oui, il n'aura pas cette tendance à s'afficher, qui était vraiment une manière de faire de l'émir Hamad, friand des symboles, des anniversaires, de cette aura médiatique. Cheikh Tamim sera relativement plus modeste dans ses apparitions. La politique sera la même sur le fond, mais dans la forme, on peut s'attendre à une légère modération dans le caractère ostensible des visites de l'émir. -Quels seront les dossiers prioritaires pour Tamim ? Les grands dossiers pour lesquels il a déjà pris part sont relatifs à la, diplomatie et naturellement celui de la Syrie. Depuis quelques années, l'émir essaie de confier à son fils les grands dossiers, notamment la question libyenne, il avait même présidé une réunion internationale sur la Libye à la place de son père et tout était mis en place pour le préparer à prendre le pouvoir dans un avenir proche. Au fur et à mesure, l'émir a fait en sorte de l'impliquer de plus en plus dans les grands dossiers internationaux. C'est quelqu'un qui prenait de plus en plus d'importance dans la nomenklatura qatarie et qui arrive aujourd'hui au terme de son parcours à la tête de l'émirat. -Quels changements peut-il apporter au Qatar et au Moyen-Orient ? Le changement ne frappe pas, même s'il est dans le domaine du symbole : pour la première fois un émir en pleine capacité laisse le pouvoir à son fils, c'est un changement assez important au niveau intérieur, régional et même international. Au niveau intérieur, on a exorcisé cette tradition d'un Etat habitué aux coups d'Etat. On renverse donc les habitudes et on tente d'apporter de nouvelles tendances, à savoir davantage de pouvoir accordé à la jeunesse, un rajeunissement du personnel politique. Ils vont octroyer davantage de responsabilités à une nouvelle génération, elle-même porteuse d'un projet qui est sien. C'est un pays en marche, tellement en mouvement que dans le domaine politique, on a une ouverture un peu libérale. Même si, évidemment, on reste dans le cadre d'une dynastie monarchique à coloration autoritaire, la transition se fait bien au cœur de la famille Al Thani. Symboliquement, c'est considérable mais dans les fondamentaux du régime, cela reste le même pays.