Le rôle prépondérant joué par le Qatar dans les pays du Printemps arabe, y compris en Syrie, «va s'atténuer en l'absence des deux pivots de la diplomatie qatarie» estiment analystes et observateurs. Le nouvel émir du Qatar maintient le cap de la politique de son père mais tempère l'agressivité de sa diplomatie, notamment sur le dossier syrien dans lequel le pays assure un soutien sans faille à la rébellion contre le président Assad. Dans son discours à la nation mercredi soir au lendemain de son intronisation, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani a mis l'accent sur le développement du pays, «en tête des priorités» de son gouvernement, sans mentionner des dossiers aussi brûlants que le conflit syrien, qui était au coeur de la politique de l'ex-souverain, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani. «Le Qatar ne changera pas de politique. Mais il est normal qu'une nouvelle équipe opte pour un nouveau style dans l'exercice du pouvoir», a estimé l'analyste émirati Abdelkhaleq Abdallah. «A court terme, les impératifs de politique interne vont prendre le pas sur la diplomatie, le gouvernement de cheikh Tamim devant être à l'écoute du peuple dans sa quête de popularité», a ajouté cet expert des monarchies du Golfe. En conséquence, a-t-il expliqué, le rôle prépondérant joué par le Qatar dans les pays du Printemps arabe, y compris en Syrie, «va s'atténuer en l'absence des deux pivots de la diplomatie qatarie: l'ex-émir et son Premier ministre», cheikh Hamad Ben Jassem Al-Thani, connu pour son franc-parler et sa politique agressive. M.Abdallah a estimé que «l'expérience du Qatar ne se répètera pas ailleurs dans le Golfe», jugeant que l'abdication mardi de cheikh Hamad Ben Khalifa en faveur de son fils n'était «pas politiquement convaincante» au moment où le richissime Etat gazier connaissait une ascension fulgurante l'ayant hissé au rang des grands. Cheikh Tamim, devenu à 33 ans le plus jeune souverain du Golfe, a souligné dans son discours que «le changement de la personne de l'émir ne signifie pas que les défis et les responsabilités changent». Le Qatar «s'est rangé aux côtés des peuples arabes dans leur aspiration à la liberté et à la dignité, et contre la corruption et la tyrannie», et il demeurera «la Kaâba des opprimés», a-t-il dit. «L'émir agira dans la continuité mais avec un style différent», a noté pour sa part l'analyste arabe Abdelwahab Badrakhan, basé à Londres. Il a souligné que «l'absence de référence à la Syrie dans le discours du souverain ne signifie pas un changement de politique même si l'émir peut reconsidérer le soutien du Qatar aux islamistes» parvenus au pouvoir dans les pays du Printemps arabe, vivement dénoncé en Tunisie et en Egypte notamment. Pour l'analyste politique du Brookings Doha Center, Ibrahim Charqieh, «cheikh Tamim a sciemment évité de parler des dossiers épineux, y compris le conflit syrien, mais il a réaffirmé les constantes de la politique arabe du Qatar, dont le soutien à la question palestinienne». Et d'ajouter: «il est normal qu'il mette l'accent sur des questions de politique interne dans son premier discours aux Qataris, qui viennent de lui prêter allégeance». «La politique tracée par cheikh Hamad Ben Khalifa sera maintenue mais dans un style différent après le départ de Hamad Ben Jassem», a-t-il indiqué, rappelant que le ministre d'Etat aux Affaires étrangères, Khaled al-Attiya, devenu chef de la diplomatie dans le nouveau gouvernement, «gérait depuis des années les grands dossiers de la région». «Ce sera la même politique mais avec moins d'agressivité», a-t-il dit. «En revanche, les déclarations franches, directes et, parfois, enflammées de Hamad Ben Jassem vont nous manquer», a-t-il noté, estimant que l'ex-Premier ministre pourrait «émerger un jour comme un acteur sur la scène internationale, à l'instar de l'Algérien Lakhdar Brahimi», émissaire de l'ONU pour la Syrie. Mais entre-temps, cheikh Hamad Ben Jassem, directeur de la Qatar Investment Authority (QIA) - le fonds souverain très courtisé et que préside l'émir Tamim - devra continuer à superviser les investissements et les avoirs du Qatar à l'étranger, selon des sources concordantes à Doha, ce qui laisse entendre que l'homme n'est pas tombé en disgrâce.