Le chassé-croisé des dirigeants occidentaux à Doha, ces derniers jours, était une sorte de passation de consignes. Petite révolution de palais au Qatar : l'émir, cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, s'adressera ce matin à sa «nation» via Al Jazeera pour annoncer sa décision de laisser son trône à son fils, le prince héritier cheikh Tamim. Auparavant, il a réuni hier la famille royale et les principaux responsables politiques du pays pour les informer de son abdication. Au-delà des raisons politiques et médicales qui auraient pu motiver cette décision, elle constitue incontestablement une petite leçon de morale dans un Monde arabe où les raïs, princes, rois et roitelets s'accrochent au pouvoir à vie. A mort plutôt. Selon des échos en provenance de Doha, cheikh Hamad pourrait même annoncer son retrait avant le mois sacré du Ramadhan, mais pour assurer une succession en douce à son fils Tamim, âgé seulement de 33 ans, au sein d'une famille historiquement turbulente chez qui les frictions se règlent par coups d'Etat. Officiellement, cheikh Hamad laisse entendre qu'il compte remettre le pouvoir aux jeunes. Une «fuite» qui ne manque pas d'ironie en direction des monarchies gérontocratiques voisines du Golfe. Mais à 61 ans, il n'est pas vraiment temps pour l'émir du Qatar de passer la main sous réserve d'une maladie invalidante qu'il aurait cachée à ses sujets. Pour autant et à sa décharge, cheikh Hamad a lancé l'idée depuis au moins une année. A plusieurs diplomates occidentaux, il a confié son secret bien gardé d'introniser son enfant préféré qu'il a eu en secondes noces avec cheikha Moza. Il a même mis le pied à l'étrier à Tamim en le nommant commandant en chef adjoint des forces armées du Qatar et président du conseil d'administration du fameux Fonds souverain du Qatar (Qatar Investment Authority) doté de près de 600 milliards de dollars. Transition tout en douceur… Tamim s'est aussi investi dans le sport en se voyant propulsé président du Comité national olympique qatari qui lui a servi de rampe de lancement pour devenir, en 2002, membre du Comité international olympique. En 2011, le jeune prince héritier s'offre le prestigieux club parisien, le PSG, grâce à son amitié avec l'ex-président Nicolas Sarkozy. Et comme tous les enfants de souverain, le futur émir du Qatar a fait bonne école à la célèbre Académie militaire britannique de Sadhurst que son père avait fréquentée avant lui. Il est aussi un parfait polyglotte puisqu'il parle couramment l'anglais et maîtrise le français et l'allemand. C'est dire qu'il dispose de tous les attributs pour être digne de la couronne de son père. Mais il aura sans doute fort à faire pour corriger l'image plutôt détestable du Qatar, notamment aux yeux de ses voisins arabes. A commencer par mettre hors jeu l'encombrant Premier ministre et chef de la diplomatie, cheikh Hamad Bin Jassim Al Thani (HBJ) dont les relations avec sa mère, cheikha Moza, sont pour le moins orageux. Changer le «vilain petit Qatar» Les observateurs s'accordent à dire qu'il ne pourrait y avoir de mariage de raison entre Tamim et le protégé de son père particulièrement envahissant. HBJ mène la diplomatie du Qatar depuis 1992 et dirige le Premier ministère depuis 2007. Son arrogance et sa diplomatie guerrière, qu'on a pu observer en Libye et aujourd'hui en Syrie, ont sérieusement terni l'image d'un petit émirat qui a montré les crocs contre ses «frères» grâce à l'épaisseur du chéquier. Cheikh Hamad Bin Khalifa a peut-être voulu ainsi se débarrasser intelligemment de son encombrant cousin en confiant les rênes de l'émirat à son fils. Le remuant ministre des Affaires étrangères du Qatar est en effet un homme de main et de confiance de l'émir. Bien qu'il n'ait pas bonne réputation dans la famille Hamad, HBJ doit sa survie politique au coup de main qu'il avait donné à l'émir lors de son coup d'Etat contre son père, en 1995. Mais l'émir ne voudrait sûrement pas laisser un «cadeau» empoisonné à son fils. Il y a donc deux scénarios possibles : soit cheikh Hamad emporte avec lui son ami fidèle tout en lui laissant la jouissance de ses immenses affaires, soit il lui laisse juste la diplomatie et accorde le Premier ministère à son fils, le temps qu'il s'aguerrisse dans le monde politique. Quoi qu'il en soit, le futur émir Tamim devrait s'employer à farder cette image de «vilain petit Qatar» qui achète tout et fait tout. C'est une mission urgente pour éviter un «printemps» en plein été…