Pour le général Al Sissi, la gigantesque démonstration de force s'adressait aussi à ceux qui n'ont pas «digéré» le coup d'Etat contre Morsi. Le Caire De notre correspondante A la place Tahrir, le chef de l'armée égyptienne, le général Abdelfattah Al Sissi, a ravi hier très largement la vedette au président Morsi, qu'il a déposé le 3 juillet dernier. Par le son et l'image, l'auteur du coup d'Etat y est célébré comme un sauveur. A quelques kilomètres de là, à Nasr City, dans la banlieue nord-est du Caire, les Frères musulmans tentaient, à la place Rabaa Al Adawiya, de maintenir intacte la cote de popularité de leur président déchu Mohamed Morsi. Ils croyaient encore que le «vendredi de la victoire» était possible, le jour même de l'annonce de la mise en détention préventive de leur champion… Sur le terrain, entre partisans de Sissi et Morsi, on ne se fait pas de cadeau… Les violences ont repris de plus belle en Egypte avec à la clé des accrochages, signalés hier principalement au Caire et à Alexandrie, entre partisans et adversaires du président islamiste déchu Mohamed Morsi. La sécurité a été renforcée dans tout le pays pour cette journée à hauts risques, alors que la situation politique inquiétante a fait plus de 200 morts en un mois. «Je ne sais plus qui croire ! Qui suivre ! En qui avoir confiance ! Je pense qu'on va vers une vraie dérive… On mettra cette fois beaucoup de temps pour avoir un semblant de réconciliation dans ce pays», se désolait Nagui, un agent de sécurité copte dans un bâtiment réputé de la banlieue de Choubra, devant le spectacle de jets de pierres et de bouteilles que s'échangeaient des manifestants des deux camps. Les clashs ont fait une vingtaine de blessés des deux côtés. «J'appelle tous les Egyptiens honnêtes à descendre dans la rue vendredi pour me donner mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme.» C'est avec ces mots du général Abdelfattah Al Sissi, chef de l'armée et nouveau vice-Premier ministre, qu'ont été déclenchées les nouvelles vagues de manifestation dans le pays répondant à cet appel de force. Déclaration fatidique, où Frères musulmans déchus par les généraux et modernistes se livrent une guerre historique sous le thème de la lutte contre le terrorisme. Risques de dérapage Cette confrontation annoncée présente tous les ingrédients nécessaires pour dégénérer. Mohamed Morsi, qui est détenu avec certains de ses collaborateurs depuis sa destitution le 3 juillet dernier, fait l'objet d'un ordre d'un tribunal du Caire de le mettre sous la détention provisoire dans un endroit encore tenu secret. Motif ? Il fait face à des accusation multiples d'assassinat de soldats et de conspiration avec le Hamas, lors de son évasion de prison en 2011. Le nouveau régime égyptien accuse également l'ancien chef d'Etat islamiste d'avoir tué des détenus et des officiers et d'avoir kidnappé des soldats. Cette décision juridique a provoqué l'ire des partisans de Morsi, qui ont dénoncé un retour au galop de « l'ère Moubarak», les Frères musulmans vont jusqu'à déclarer que c'est le nouveau visage de vengeance de l'ancien régime. «La démarche du général Abdelfattah Al Sissi à inviter le peuple égyptien à manifester à travers le pays n'est pas une réaction habituelle des institutions militaires et provoque plutôt l'inquiétude. Cette invitation est une incitation grave à la violence et la division au sein de la population égyptienne. L'armée se heurte jusqu'à maintenant aux sit-in ininterrompus à Rabaa Al Adawiya depuis l'éviction de Morsi», explique docteur Emad Shahin, professeur en science politique à l'université américaine du Caire, à El Watan. Et d'ajouter : «Toutes les décisions prises depuis le 30 juin telles que l'isolation de Morsi, les vagues d'arrestation des dirigeants des Frères musulmans ont des enjeux politiques qui ont pour but de mettre la pression sur les pro-Morsi et ne mèneront que vers la violence dans la rue.»L'universitaire estime que les 48 heures à venir «seront décisives, et la vraie bataille est celle de l'itinéraire démocratique et le soulèvement militaire» Heurts et divisions «Nous sommes l'Egypte», «Le peuple et l'armée, une seule main», «Musulmans et chrétiens tous unis contre le terrorisme», c'est ainsi que criaient les milliers de manifestants anti-Morsi ayant afflué à leurs sites mythiques de grands rassemblements, la place Tahrir et Al Etihadiya en face du palais présidentiel. L'ambiance était de ton festif. La foule brandissait des drapeaux égyptiens et des portraits du chef de l'armée, le général Abdelfattah Al Sissi, artisan de la chute de Morsi et nouvel homme fort du pays, et des hélicoptères sillonnaient la périphérie en lançant des drapeaux du pays aux pro-Sissi. Dans le camp opposé, des cortèges sont partis d'une trentaine de mosquées de la ville pour se rendre sur deux sites, où les partisans du président renversé ont établi des campements, près de l'université du Caire et devant la mosquée Rabaa Al Adawiya, dans le nord-est de la capitale. Les Frères musulmans et les sympathisants du président déchu confirment la fermeté de leur décision de sit-in qu'ils maintiennent depuis le 3 juillet, et se disent scandalisés par l'initiative des nouvelles autorités qui s'apparente à un appel explicite à une guerre civile en Egypte. «On ne bougera pas d'ici ! L'ultimatum des 48 heures ne nous fait pas peur», scandait un homme via un microphone à côté de la mosquée de Rabaa Al Adawiya, où des milliers de personnes continuaient à se joindre aux manifestations anti-Sissi. «On s'apprête à de nouveaux massacres et de nouvelles mares de sang», lance Dr Khaled Abou Shadi. Ces rassemblements et ces violences annoncés montrent que les divisions se creusent encore au sein de la société. Alliance contre les islamistes D'un côté, les membres des Frères musulmans et des Egyptiens se présentant comme «démocrates» qui refusent toute alternative de céder face à un nouveau pouvoir considéré comme illégitime, car porté par un coup d'Etat et qui rappelle l'ère de répression de Moubarak qui revient en force et pour preuve, la couverture médiatique déséquilibrée après la fermeture de chaînes de télé islamistes et l'arrestation de centaines de partisans de Morsi depuis le 3 juillet, jour de la prise de pouvoir des militaires. Face aux islamistes, se trouve une gigantesque alliance, qui regroupe les libéraux, les laïcs, jeunes révolutionnaires, membres de l'ancien régime, déçus de Morsi et militaires, estime à l'inverse que le renversement de l'ex-président n'est dû qu'à «la volonté populaire» qui doit être respectée et qu'ils tiennent à défendre coûte que coûte. Ces fractures évidentes depuis le référendum constitutionnel ne cessent de s'élargir Les deux camps, qui s'accusent mutuellement d'entraîner le pays vers la guerre civile, semblent vouloir se dégager par avance de toute responsabilité au cas où les rassemblements de vendredi dégénéreraient. Si la situation au Caire demeure relativement calme jusqu'à l'heure actuelle, la situation est plus inquiétante dans d'autres villes du pays, à l'instar d'Ismaïlia, Mansoura, Damiette ou encore Alexandrie, deuxième plus grande ville égyptienne où les clashs entre pro et anti-Morsi ont fait un mort et plus d'unetrentaine de blessés avant l'intervention de la police et des forces armées qui ont recouru aux tirs à gaz pour disperser la foule à Mahatat El Raml et Sidi Gaber.