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Sous pression, Ennahdha recule
Gel de la constituante en Tunisie
Publié dans El Watan le 08 - 08 - 2013

Plusieurs dizaines de milliers de manifestants sont descendus, avant-hier soir, dans les rues de Tunis pour commémorer l'assassinat de Chokri Belaïd, réclamer le départ du gouvernement Ennahdha et la dissolution de l'Assemblée nationale constituante. L'opposition a vu ses exigences politiques renforcées par ce large plébiscite populaire, qui a consacré une emprise évidente sur la rue. La place du Bardo, devant l'Assemblée nationale constituante (ANC), était pleine comme un œuf.
Tunisie. De notre correspondant

Les boulevards avoisinants, du 20 Mars et Habib Bourguiba, étaient pleins à craquer de monde. Les barrages de police, placés à plusieurs centaines de mètres à la ronde du lieu du meeting, ont facilité le passage des foules, tout en procédant au contrôle des sacs suspects. Une foule grouillante venant condamner la violence et réclamer le départ du gouvernement mais, surtout, exprimer son amour de la vie et confirmer son attachement aux objectifs de la révolution, à savoir la démocratie et l'équité sociale et régionale. «Deux ans n'ont pas suffi aux deux gouvernements d'Ennahdha pour donner des signaux sur la voie de la lutte contre le chômage et le déséquilibre régional. Hamadi Jebali a, certes, reconnu son échec. Mais Ali Laârayedh tarde à suivre l'exemple de son prédécesseur, malgré le chaos général régnant en Tunisie à tous les niveaux. Nous sommes donc venus pour lui dire basta. La Tunisie mérite d'être mieux gouvernée», a déclaré Mohamed Yahiaoui, 32 ans, titulaire d'une maîtrise d'arabe, originaire de Tabarka, au chômage depuis huit ans.
Il est venu dans une estafette, avec une dizaine de ses amis, qui se disent tous «anti-Ennahdha», sans étiquette politique définie. «Ce que nous avons vu durant ces deux ans, comme la cherté de la vie et la détérioration de l'environnement sociétal, pousse à la déception. Mais nous tenons à redresser la barre de notre transition démocratique», enchaîne Larbi Mansouri, employé de société, venu de Kairouan et décidé à passer l'Aïd à Tunis avec les constituants en sit-in au Bardo. La présence féminine attire l'attention parmi les manifestants du Bardo. A vue d'œil, le nombre de femmes dépasse largement celui des hommes. Jeunes et moins jeunes, elles sont sorties pour «défendre l'image acquise à travers le monde par la femme tunisienne, celle de l'égale à l'homme dans tous les aspects de la vie», insiste Raoudha, une militante féministe de 60 ans, ayant roulé sa bosse dans divers circuits de la société civile. «Nous ne sommes pas prêtes à lâcher un iota de nos acquis», insiste Maroua, étudiante en médecine, originaire du Bardo. «C'est ma huitième nuit de sit-in. Je ne le quitte que pour aller faire mes gardes à l'hôpital», poursuit-elle.
Femmes et syndicalistes
La forte centrale syndicale (UGTT) a usé de tout son pouvoir mobilisateur pour réussir cette manifestation «contre la violence», décrétée six mois après l'assassinat de Chokri Belaïd, pour attirer l'attention sur le fait que «les assassins de Belaïd courent toujours» et que «la Tunisie est au bord du chaos». «Pis encore, les mêmes assassins ont fait taire à jamais Mohamed Brahmi et la même mouvance a attaqué et tué nos vaillants soldats dans les montagnes du Chaâmbi. Y a-t-il un signal plus fort sur l'échec du gouvernement de Laârayedh», s'est indigné Besma, la veuve de Chokri Belaïd, dans son intervention, entrecoupée à plusieurs reprises par le slogan «Ghannouchi, assassin». Mais au-delà du succès populaire, le flou persiste quant à l'issue du bras de fer engagé entre le gouvernement et l'opposition depuis l'assassinat, le 25 juillet dernier, de Mohamed Brahmi. A travers le sit-in de la soixantaine de constituants réfractaires de l'ANC, qui se poursuit depuis le 27 juillet, l'opposition est parvenue à maintenir la pression sur le gouvernement et continue à demander son départ. Elle est même parvenue à déjouer la manœuvre d'Ennahdha de focaliser sur le terrorisme.
«L'incapacité d'Ennahdha est la principale raison des échecs de la Tunisie, y compris dans la lutte contre le terrorisme», a expliqué l'élue d'Al Massar, Nadia Chaâbane. Pour sa part, Ennahdha continue à qualifier de «putschiste» les tentatives de l'opposition de l'écarter du pouvoir, à la faveur d'un gouvernement de technocrates.
L'ANC gèle ses activités
Face à ce bras de fer, et après avoir tenu une plénière pour interroger le gouvernement sur les derniers actes terroristes enregistrés, qui n'est pas parvenu à réunir les deux tiers requis pour l'adoption des principales lois, le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, a décidé de surseoir aux activités de l'ANC et de céder la place au dialogue. «C'est une autre manœuvre comme celle de Hamadi Jebali, le 6 février dernier, après l'assassinat de Belaïd», réagit le constituant Mongi Rahoui. «Ils veulent nous ramener encore une fois à un dialogue qui n'aboutit à rien et Ennahdha reprendra les rênes comme si de rien n'était. Procédons à la dissolution du gouvernement et chargeons une personnalité indépendante de former un gouvernement de technocrates. Après, nous verrons comment finaliser le processus», poursuit ce député du Front populaire.
En attendant, les constituants réfractaires vont fêter l'Aïd en sit-in. Ils vont distribuer des cadeaux aux enfants et rendre visite aux malades dans les hôpitaux, histoire de créer de l'ambiance, en attendant les véritables manœuvres.
A signaler que le parti Ennahdha a annoncé, hier en fin d'après-midi, accepter la suspension de la Constituante et vouloir des pourparlers, après deux semaines d'une crise politique. Ennahdha a indiqué qu'il se soumettait à la décision du président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar (un allié laïque des islamistes), de geler les travaux de la Constituante jusqu'à l'ouverture de négociations avec les opposants au gouvernement. «En dépit de nos réserves (...) sur cette initiative, nous espérons qu'elle servira de catalyseur pour que les adversaires politiques s'assoient à la table du dialogue», a annoncé le chef du mouvement, Rached Ghannouchi, dans un communiqué. Le parti islamiste souhaite une «solution consensuelle en cette période sensible» et se dit favorable «à la formation d'un gouvernement d'union nationale comprenant toutes les forces politiques convaincues de la nécessité d'achever le processus démocratique».


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