L'assassinat de Mohamed Brahmi a plongé dans la confusion la Tunisie où la situation politique était déjà bloquée. Tunis. De notre correspondant
Le gel de 42 membres de l'opposition de leurs activités à l'Assemblée nationale constituante, suite à cet assassinat, a en effet rendu la situation quasi chaotique. A peine Mohamed Brahmi enterré, que la classe politique est revenue aux tracasseries quotidiennes de cette transition qui peine à se concrétiser. Les tractations reprennent déjà à la cinquième vitesse. «Nous ne siègerons plus à l'ANC», affirment les 42 constituants de l'opposition, qui ont claqué la porte, laissant planer le doute sur la capacité de l'Assemblée à finir ses travaux. «Ils ne nous auront pas comme lors de l'assassinat de Chokri Belaïd, avec la manœuvre de Jebali», insiste la constituante Rabiaâ Najlaoui. «L'unique solution face au terrorisme, c'est de parfaire au plus vite notre transition démocratique», répond le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar. Pour sa part, le président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, accuse l'opposition de chercher à «transposer en Tunisie ce qui s'est passé en Egypte». Cette intransigeance apparente n'a pas empêché le membre de la choura d'Ennahdha et ancien conseiller politique du gouvernement, Lotfi Zitoun, de dire : «Nous sommes ouverts à toutes les propositions qui aident à la réussite de la transition dans le cadre du respect de la légitimité.» De tels propos indiquent que chaque pôle politique essaie de tirer la corde de son côté. «Rien ne sera, certes, plus comme avant. Mais la troïka gouvernante est appelée à annoncer des décisions fortes pour faire sortir le pays de l'impasse», a indiqué le politologue Slaheddine Jourchi. Dans la requête accompagnant le début de leur mouvement, les constituants de l'opposition réclament l'annonce de trois décisions : d'abord, l'installation d'un gouvernement de salut national présidé par une personnalité indépendante consensuelle et formé de 15 à 20 ministres technocrates. Lequel gouvernement aura pour principale tâche la tenue des élections, chapeautées par l'ISIE, en moins de six mois. Ensuite, la désignation d'une commission d'experts constitutionnels qui finalisera en quelques semaines le projet de Constitution, en tranchant dans la dizaine de différends séparant encore les positions à l'ANC. Enfin, la dissolution des ligues de protection de la révolution, à l'origine de la propagation de la violence politique en Tunisie. Que faire maintenant ? Par ailleurs, le nouveau gouvernement se chargera de la révision des nominations partisanes décrétées sous le gouvernement de la troïka, notamment celles qui peuvent influer sur l'indépendance du processus électoral. Si telles sont les exigences de l'opposition, la troïka gouvernante, prête à négocier, ne va pas tout céder. En effet, selon les sphères proches d'Ennahdha, «le parti islamiste accepterait de négocier la proposition de gouvernement de technocrates, mais proposerait un islamiste pour sa présidence». Il céderait même sur le chef du gouvernement «si la mission de ce dernier ne brasse pas large dans la révision des anciennes nominations partisanes» pour que le parti Ennahdha «ne se sente pas visé par de telles mesures». Les islamistes lâcheraient également les ligues de protection de la révolution, «trop encombrantes en cette phase». Pour ce qui est de la Constitution, «Ennahdha n'est pas prête à céder sur les prérogatives de l'ANC, même si les islamistes acceptent de désigner des experts pour l'arbitrage afin d'accélérer l'adoption de la nouvelle Constitution». Le politologue Néji Jalloul a expliqué cette bataille tactique en disant : «Il reste à Ennahdha deux dernières lignes de défense avant la confrontation directe : le gouvernement et l'ANC. Les islamistes ne sauraient abandonner ces deux lignes en même temps.» La chaise de Ali Laâreyedh tremble.