La révolution algérienne était au centre des rapports entre Mgr Duval et le général Charles de Gaulle. Les deux hommes se sont rencontrés au moment où les combats faisaient rage entre l'armée coloniale et les combattants du l'ALN. Ils ont eu également des échanges épistolaires à plusieurs reprises. L'archevêque d'Alger avait vu de Gaulle, pour la première fois, le 4 juin 1958. « Les corps constitués avaient été convoqués au Palais d'été par la préfecture. A 14h40, le général entra dans la salle du premier étage où nous étions réunis ; j'étais là avec Mgr Mercier, évêque du Sahara, et d'autres ministres des cultes. Le général passa rapidement devant les officiers, et s'arrêta ensuite près de moi et me dit : “Je sais que vous avez été dans une situation délicate”, et il ajouta : « Maintenant cela va mieux. » (1) A la fin de son discours, de Gaulle déclara solennellement aux gens qui l'entouraient, notamment Mgr Duval : « Quand j'aurai accompli ma tâche, il me restera à me préparer à rendre des comptes à l'Histoire... et à Dieu. » En homme de foi convaincu et en humaniste infatigable, le dignitaire ecclésiastique avait adressé une correspondance le 25 novembre 1958 au général de Gaulle, pour attirer son attention sur la situation dramatique qui prévalait en Algérie. « Il y a des faits qui se reproduisent et qui risquent de laisser dans les cœurs des souvenirs redoutables pour l'avenir : malgré une déclaration solennelle d'un ministre du gouvernement (2), la torture continue à être pratiquée, des villages sont détruits, des exécutions sommaires ont eu lieu, des personnes disparaissent sans que l'on sache ce qu'elles sont devenues. La jeunesse de France risque de pourrir lorsqu'on la fait participer à des actions que réprouve la morale », avait écrit Mgr Duval dans sa lettre. « L'honneur de la France est en jeu. Sa mission civilisatrice également ; comment cette mission pourrait-elle être assurée par des méthodes qui en sont la négation ? », avait-il ajouté avant de consigner cette réflexion prophétique : « Il est à craindre que la volonté d'obtenir à tout prix des résultats immédiats ne fasse que compromettre plus sûrement l'avenir. » Aussi étrange que cela puisse paraître, le général avait beaucoup de respect pour Mgr Duval. Ces considérations se manifestaient à travers les réponses adressées par de Gaulle à l'archevêque d'Alger. Les deux hommes se sont, toutefois, revus six mois après la première rencontre, soit le 4 décembre 1958. Mgr Duval l'avait accueilli dans la cathédrale où devait se dérouler la messe dominicale avec des phrases d'une prodigieuse lucidité : « ... Il est des maux que seul l'amour peut guérir. Il est des heures tragiques où seul l'amour peut faire jaillir la lumière. Il est des problèmes qui sont tellement graves, que seul un cœur qui aime peut les résoudre. Que la technique moderne soit au service de l'homme. Mais que l'ordre de priorité, établi par Dieu, soit respecté, c'est-à-dire que l'on pense, avant tout, aux privilèges du Seigneur, aux pauvres, à ceux qui ont faim et qui ont droit, comme tout le monde, à vivre dans la dignité. » Le général de Gaulle avait même reçu Mgr Duval au palais de l'Elysée. « Ce jour-là, je l'ai trouvé préoccupé, angoissé même ; il ne me cacha pas son inquiétude ; je pus lui parler librement. A la fin de l'audience, il me conduisit à la porte de son bureau et me dit : “Vous connaîtrez des moments difficiles. Bon courage.” 1- Tous ces témoignages sont extraits d'un livre sur la cardinal Duval : Au Nom de la Vérité, dont les textes sont présentés par D. Gonzalez et A. Nozière (Cana/Jean Offredo, Paris, 1982.) 2- André Malraux, ministre dans le gouvernement de de Gaulle.