Notre confrère El Khabar avait consacré, en décembre 1993, un entretien, qu'on pourrait qualifier d'historique, au cardinal Léon-Etienne Duval. Premier saisissement à son arrivée en Algérie en 1947. « J'ai aussitôt découvert les différences entre les riches et les pauvres, entre les Français et les Algériens musulmans », avait-il observé. Parlant de la révolution du 1er Novembre 1954, Mgr Duval a estimé, dès le départ, que « le problème était politique, et qu'il fallait arriver à l'autodétermination ». La pratique que le dignitaire ecclésiastiques répugne le plus est sans doute la torture : « J'ai écrit ma déclaration contre la torture pour défendre l'homme, et ainsi je défendais aussi l'Eglise (...) Je suis intervenu personnellement à de nombreuses reprises auprès de de Gaulle. Je garde toujours les lettres que j'ai envoyées pour déplorer la répression et la torture. » Le cardinal Duval ne faisait pas de doute : « L'administration coloniale ne servait pas le christianisme. Elle servait la France. » Mgr Duval, de par ses positions courageuses, s'est fait beaucoup d'ennemis parmi la population européenne. Pourquoi ? « Parce que je défendais l'homme et donc les Algériens. Je disais qu'ils avaient des droits et que nous devions les respecter. Ces droits, la police ne les respectait pas toujours. De même, certains dans l'armée française ne respectaient pas les droits des personnes », avait-il constaté. Le fait de rencontrer des nationalistes algériens ne gênait aucunement Mgr Duval : « Dès mon arrivée à Constantine, j'ai rencontré, entre autres personnes, un haut responsable du PPA. » A-t-on obligé l'ecclésiastique à prendre position aux côtés de l'administration coloniale ? « On m'a laissé libre. J'ai fait mon choix en son temps. Je me suis toujours inspiré de saint Augustin et saint Augustin était Algérien. J'ai aussi suivi les directives du pape, et le pape est à Rome. » Cependant, dans une atmosphère pas tout à fait favorable à l'exercice spirituel, même l'Eglise s'est trouvée divisée sur la question de la colonisation. « Il y avait des chrétiens qui marchaient avec la politique coloniale et d'autres étaient indépendants », avait-il remarqué. Devenu Algérien à part entière, le cardinal s'est toujours considéré comme tel. « Je vote comme les Algériens et je me déplace avec un passeport algérien », avait-il indiqué. Interrogé sur les élections législatives du 26 décembre 1991, Mgr Duval a répondu sereinement qu'il avait accompli son devoir électoral comme lors des élections précédentes. Il avait donné sa voix à qui ? La question devait être embarrassante, mais il n'a pas perdu son flegme : « J'ai donné ma voix à la liberté. J'ai voté dans mon quartier, dans une école. Nous avons attendu longtemps, près d'une heure, car les urnes n'étaient pas là. J'étais parmi d'autres Algériens qui attendaient et on nous a donné des chaises pour attendre. » L'apparition du terrorisme, durant le début des années 1990, fut un cauchemar pour Mgr Duval. « Je suis contre la violence. La justice et l'égalité se gagnent par la raison. Par le dialogue, et pas par la violence », avait-il répondu avec la diplomatie et la sérénité qui animent les gens de bonne foi. Pour conclure, il a eu la réflexion suivante : « En général, la cause des guerres est l'injustice et les différences sociales. C'était le cas... »