Rémy, Georges, Armand et Michel ont fait la guerre d'Algérie. Ils étaient des jeunes appelés. Le 8 août 2004, ils ont créé l'Association des anciens appelés en Algérie contre la guerre (AAAACG). Une association très connue sous l'appellation «4ACG», qui regroupe les anciens appelés, rappelés ou engagés qui se sont engagés à reverser leur modeste retraite de combattant dans la caisse de leur association, afin que cet argent soit utilisé dans des projets en Algérie et en Palestine. Rencontre avec Simone de Bollardière, présidente d'honneur de l'association 4 ACG. Et Remy Serres, président de l'association. Rencontrés à Alger après avoir sillonné les wilayas de Constantine, Annaba, Sétif, Béjaïa et Tizi Ouzou. Simone de Bollardière. Veuve du général français Jacques de Bollardière : «Tous les Français ne sont pas des tortionnaires»
- Quel a été votre sentiment en arrivant en Algérie aujourd'hui ? Je viens d'arriver en Algérie, un pays qui est dans mon cœur et dans mon esprit. Avec tout ce qui s'est passé et ce que le colonisateur français vous a fait, c'est quelque chose que nous ne pouvons pas ignorer. Quand je vois Louizette, j'ai envie de l'embrasser et de pleurer en même temps, après tout ce que les Français lui ont fait, nous les Français avons fait aux Algériens.
- Vous êtes venus à Alger dans quel cadre ? Il y a des anciens amis qui étaient en Algérie durant la guerre. Ils se sont regroupés. Ils ne sont pas d'accord avec ce qu'on les a obligés à faire ici. Il y a eu la création du groupe le 4ACG, les anciens appelés en Algérie. L'argent issu de la pension militaire alloué aux membres de cette association est investi intégralement dans certains projets à titre symbolique en Palestine et en Algérie. Ces anciens appelés ne veulent pas utiliser cet argent, car ils savent que cette pension provient d'une guerre pleine d'horreur et d'atrocités. Donc, ils refusent de l'utiliser à des fins personnelles. Avec cet argent, nous menons des actions de solidarité au niveau des écoles et dans les zones rurales en Algérie et en Palestine.
- De quoi parliez-vous avec Louiza Ighilahriz ? Nous évoquions le procès contre le général Aussaresses au grand tribunal de Paris. J'ai assisté en qualité de témoin. J'avais demandé au général Aussarsses où avait-il mis le corps de Maurice Audin. Il m'avait répondu qu'il ne le sait pas. C'est du mensonge. Il le savait bien. Je suis contente d'être allé témoigner pour dire la vérité au tribunal, pour dire les choses abominables qui avaient eu lieu en Algérie. La France dit non, alors que ce n'est pas vrai. Ce jour-là, Louizette se trouvait derrière moi. Et puis, ce jour-là, c'était aussi pour Mme Audin, car son mari a disparu à l'âge de 25 ans. C'était un professeur de mathématiques.
- Que représente-t-elle pour vous ? C'est l'émotion totale. Une femme qui avait souffert de la torture exercée par les Français sur elle, alors que je suis moi-même Française. Heureusement que tous les Français ne sont pas les mêmes et ne sont pas des tortionnaires.
- A quand remonte votre dernier voyage en Algérie ? Je dois vous avouer que c'est très émouvant de venir en Algérie pour moi. Je suis déjà venue il y a 10 ou 15 années, lors d'une conférence sur le bilinguisme, qui avait eu à Constantine ou à Oran, je ne me rappelle plus. Je ne suis pas bilingue. J'ai pu rencontrer des Algériens qui portent encore les traces de la torture. Ils sont venus s'asseoir à côté de moi. Ils m'avaient remercié d'être venue en Algérie. Ils savaient que mon mari n'était pas d'accord avec tout ce que pratiquaient les Français sur les algériens. Je suis venue avec le nom de mon mari que je porte et dire que je n'étais pas d'accord avec tout ce que faisaient les Français. Je vous assure que j'avais les larmes aux yeux quand je me suis entretenue avec les trois Algériens qui portent encore les blessures de la torture. Mon mari s'est opposé et avait été contraint de partir vers une forteresse pour avoir dénoncé les choses abominables qui se passaient en Algérie.
Remy Serres. Président de 4ACG : «Nos pensions de combattant profitent aux populations d'Algérie et de la Palestine»
- Ancien appelé de l'armée française vous revoilà en Algérie Je suis venu en Algérie en 1958. J'avais 20 ans, je suis né le 15 février 1938 à côté de Toulouse. J'avais fait mes classes à Boghar. On nous a appris à manier les armes, à tirer et surtout à obéir. C'est important d'obéir dans une guerre qu'on n'a pas choisie. Si on cherche à comprendre, cela signifie qu'on commence à désobéir. C'était très sévère pour nous les jeunes qui venons de France. Je me souviens d'un jeune scout qui nous a dit de faire une mini-révolution. Les responsables nous ont affectés alors à la Mitidja. Moi, on m'a affecté en qualité de gardien dans une ferme agricole d'un colon à Bouinan. Ensuite, on nous a dit qu'il y avait un déficit en Kabylie. On a obéi aux ordres et on est arrivés dans les montagnes de Kabylie.
- Quelles étaient vos impressions face à un pays en guerre ? Une fois arrivés sur les lieux, on avait su que c'était la véritable guerre. J'ai passé 28 mois à Tassaft du côté de Tizi Ouzou dans un poste militaire, au sein d'une compagnie aux côtés de 120 soldats. On était chargés de surveiller les alentours. Il fallait faire la lutte aux maquisards algériens, leur interdire de s'approvisionner au village et de les empêcher de nous tirer dessus. Nous étions au bord d'une zone interdite en fin de compte et que nous ignorons. Nous avons fait évacuer tous les paysans algériens de leurs habitations des villages construits dans les djebels pour les confiner dans la vallée. On nous disait que toutes ces personnes étaient nos ennemis. Le jour, on aménageait les postes de notre caserne et le soir, on nous envoyait faire des embuscades. Il y a eu des accrochages. Il y avait des morts des deux côtés.
- Et par la suite ? J'ai rencontré la mort, la misère, la torture. Mais le plus terrible de ces 3, c'est la torture. C'était inacceptable. Je ne pouvais plus fermer les yeux sur la torture. Selon les accords de Genève, elle ne devait pas exister. Mais que voulez-vous ? Les montagnes de la Kabylie étaient loi de Genève. Au bout de 28 mois et ayant été blessé durant cette période, je suis retourné en France. La guerre d'Algérie n'intéressait pas beaucoup les gars, mais dans ma tête de paysan, je me suis dit, les Algériens qui sont dans leur pays ne méritaient pas ça.
- Maintenant, vous percevez une pension de combattant. A partir de 65 ans, l'Etat français nous alloue annuellement une pension de combattant de 630 euros. Vous savez, mes camarades et moi avons dit nous allons acheter des jouets avec pour nos petits-enfants. L'idée de refuser cet argent est passée dans nos têtes. Finalement, nous avons réfléchi. Nous nous sommes dit que cet argent nous rappelle le sang des Algériens, la misère, la mort et la torture. Nous avons décidé d'un commun accord que nous n'allons pas faire profiter l'Etat de nos pensions de combattant, mais allons faire profiter les populations de l'Algérie et de la Palestine de cet argent, en concrétisant des projets symboliques.
- Quel est le nombre d'adhérents dans votre association ? Nous avoisinons le nombre de 130 adhérents qui reversent la totalité de leur pension à la caisse de notre association. Nous sommes quand même riches n'est-ce pas ? L'ensemble des adhérents qui avaient décidé de reverser leur argent avaient beaucoup réfléchi avant de passer à l'action.
- Peut-on connaître vos actions concrètes en Algérie ? Depuis 2004, nous essayons de travailler avec des associations en Algérie qui œuvrent dans le sens tracé dans les objectifs de notre assemblée générale. Quand nous avons demandé aux membres de notre association s'ils désirent effectuer une mission en Algérie, je vous assure que 80 membres avaient levé la main. C'était difficile pour organiser un voyage dans votre pays, car il y a des officiels algériens qui ne veulent pas de nous et ne vous donnent même des réponses à vos questions. Nous avons réussi à trouver des astuces pour venir en Algérie…
- Mais je vous réitère ma question sur vos actions en Algérie ? Nous avons porté notre choix sur le village de Tazla en Kabylie qui avait été entièrement détruit durant la guerre de Libération. Nous autres les paysans français étions intéressés pour faire quelque chose dans ce petit village, qui au départ était habité par 4 familles, alors qu'aujourd'hui on a dénombré 17 familles qui vivent dans les montagnes de Tazla. Bien entendu l'Etat algérien avait aidé ces régions. Pour notre part, nous avons décidé d'agir d'une manière symbolique, tel que l'achat d'un minibus pour le transport des écoliers, l'adduction de l'eau pour irriguer la culture vivrière, la mise en place d'une clôture pour protéger les champs des passages des sangliers, tout cela grâce à la touiza (solidarité). Il s'agit de petits projets. Au niveau de notre association, 4ACG, nous avons une commission de projets qui évalue la faisabilité des projets avant de les concrétiser. Nous avons agi dans ce sens pour établir et consolider les liens avec les Algériens.
- Vous passez inaperçu lors de vos passages en Algérie ? J'avais été blessé quelque part au niveau de la grande place à Bejaia durant la guerre. J'ai exaucé un rêve, celui de serrer la main d'un ancien moudjahid. Je l'ai fait. C'était émouvant, quand je pense que je me trouvais dans le camp adverse aux algériens durant la guerre. Je suis venu en Algérie plusieurs fois. Cette année, c'était au mois de mai et cette fois-ci. Financer symboliquement des opérations de développement dans un but de solidarité, avec cette idée de réparation morale vis-à-vis du peuple algérien et notamment en faveur des populations algériennes qui avaient souffert de la guerre et du peuple palestinien qui continue à souffrir de la guerre. Nous voulons établir des liens sérieux et durables avec le peuple algérien et faire un travail de mémoire.
- Y- aura-t-il un autre voyage en Algérie ? A ce jour, il n'y a pas de réponses à ce que nous avons proposé. Nous comptons organiser un séminaire en France avec la présence des associations algériennes qui activent en France et quelques unes qui se trouvent en Algérie. Il y a la montée du racisme, la ligne politique du F.N (Front National, ndlr). Je crois qu'à ce rythme le feu atteindra la forêt. Par conséquent, il est temps de prendre en charge toutes les mesures pour éviter le départ de feu.