En désignant, contre toute attente, Abdelaziz Belkhadem à la plus haute responsabilité gouvernementale, le président de la République n'a pas fait dans la dentelle pour mettre à profit une des (nombreuses) prérogatives que lui confère l'actuelle Constitution. Le dégommage de Ahmed Ouyahia (sous les contours d'une démission forcée qui n'a trompé personne) aurait pu passer pour un changement technico-stratégique somme toute normal (le chef du RND était en poste depuis plus de trois ans) si le personnel ministériel n'avait pas été maintenu aux commandes au grand complet. En fait, l'on s'accordait déjà à reconnaître dans les sphères avisées que plus le temps passait et plus cet ancien énarque démontrait avec force la densité de ses compétences et le volume impressionnant de son abattage quotidien. Avec ses prestations télévisées à la limite du show médiatique, par sa manière élégante de maîtriser les dossiers sensibles et de livrer les chiffres dont lui seul a le secret, et son style trempé dans un soupçon d'ironie pour répondre à ses interrogateurs, Ahmed Ouyahia, de l'avis généralisé, prenait indéniablement au fil du temps de l'épaisseur, une dangereuse épaisseur pour ses concurrents politiques. L'homme, à en croire la rumeur distillée par des cercles indéterminés, « travaillait pour lui-même » et s'imposait, sans le dire, mais avec cette subtile manière de faire qui le caractérise, comme une alternative agissante à la magistrature suprême du pays. Et il est vrai que depuis quelques mois, les observateurs politiques nationaux remarquaient sans bien le comprendre les postures antagoniques que prenait cet ancien diplomate prudent, ce commis de l'Etat docile, vis-à-vis du discours présidentiel. C'est, l'on s'en doute un peu, pour ne pas renouer avec « le syndrome Benflis », c'est-à-dire ne pas réellement gêner les ambitions à venir de Abdelaziz Bouteflika, que ce redoutable cinquantenaire, ce monstre froid, comme aimaient à le dépeindre ses détracteurs, a été voué aux gémonies par le sérail destructeur des forces périphériques et poussé vers la sortie sans gloire ni grandeur, sans reconnaissance pour ses services rendus à la nation. Le système algérien est ainsi fait et Ouyahia le paye aujourd'hui de sa personne pour avoir été soupçonné de ramer à contre-courant de la société politique bien-pensante... Qui mieux donc que Abdelaziz Belkhadem pour faire réintégrer cette portion de pouvoir, un moment égaré, dans le giron présidentiel et accompagner sans turbulences et surtout sans trublion indésirable ce qui reste à parcourir à Abdelaziz Bouteflika. La bataille menée autour du projet de révision constitutionnelle, fatale pour le Premier ministre sortant et bénéfique pour le reste, laisse, il faut le dire, les populations nationales dans l'indifférence, elles qui sont si éloignées des luttes politiques intestines et si proches de ces réalités crues et vécues qui s'appellent chômage, précarité, logements, insécurité, insalubrité, éducation, etc. Autant dire que passé cet intermède désormais classique dans la vie politique nationale où ont communié les ambitions de l'un et des autres pour se délester, sans explication, d'un adversaire dangereux, il reste la question essentielle, celle de savoir comment arrimer ce pays et son peuple au progrès social et à la prospérité.