Ahmed Ouyahia ne sera pas un simple coordinateur du gouvernement. Il refuse ce statut que son prédécesseur, Abdelaziz Belkhadem, a assumé pendant deux ans. Il affirme ainsi revenir à la tête du gouvernement pour exercer ses pleines prérogatives. « Je suis tenu constitutionnellement, moralement et politiquement d'exercer mes attributions », a-t-il déclaré dans une conférence de presse animée hier à Alger lors de la clôture des travaux du 3e congrès de son parti, le RND, qui l'a consacré secrétaire général pour la troisième fois consécutive. Contraint à la démission en mai 2006, M. Ouyahia revient à la tête du gouvernement par la grande porte. C'est du moins l'impression laissée par cet homme qui a eu hier à répondre aux innombrables questions des journalistes avec un brin de sérénité. M. Ouyahia ne s'est cependant pas expliqué sur le fait qu'il n'a pas joui de sa première prérogative, tel que stipulé par l'article 79 de la Constitution et selon laquelle le chef du gouvernement présente les membres du gouvernement qu'il a choisis au président de la République qui les nomme. Cela est peut-être considéré comme un détail par un Ouyahia qui réitère haut et fort son « soutien inconditionnel » au président Bouteflika, que ce soit par rapport à la révision de la Constitution ou au troisième mandat. Le leader du RND précise d'ailleurs qu'il est à la tête de l'Exécutif pour achever le programme du président de la République, excluant son passage devant le Parlement pour présenter sa feuille de route pour les dix mois qui restent au second mandat de Bouteflika. « Il s'agit d'un remaniement ministériel, il n'y aura donc pas de soumission d'un programme au Parlement », a-t-il écarté, se référant à mai 2006, lorsque Abdelaziz Belkhadem l'a remplacé à la tête de l'Exécutif sans qu'il ne soumette le programme du gouvernement au Parlement. M. Ouyahia fait comprendre qu'il est là pour donner un coup de fouet aux chantiers en souffrance. « Nous allons faire tout pour tirer le maximum de profits des mois et semaines qui restent pour l'échéance de ce programme », a-t-il indiqué, tentant même de rassurer que le bilan du gouvernement sera satisfaisant d'ici l'élection présidentielle de 2009. « Je ne donnerai ma langue au chat qu'en 2009, nous serons au rendez-vous », a-t-il attesté, citant au passage l'exemple du « un million de logements » et de l'autoroute Est-Ouest dont la réalisation est assez avancée. Les priorités du gouvernement, d'après lui, n'ont pas changé. « Elles sont celles de la société avec une dose de bon sens », a-t-il indiqué, précisant néanmoins que celles-ci « ne sont pas définies par les pneus en feu, ni par des jets de pierres sur les édifices publics ». Ces actes s'appellent, a-t-il souligné, atteinte à l'ordre public pour lesquels s'applique la loi, lançant une sorte d'avertissement à l'endroit de probables futurs émeutiers. Autre tâche pour laquelle il semble être désigné à la tête de l'Exécutif, c'est la préparation de l'élection présidentielle de 2009. « Je suis aussi appelé, indique-t-il, à préparer les conditions requises pour le succès des prochaines batailles, dont l'élection présidentielle de 2009. » Comme il va « essayer, selon ses termes, de lever les quelques scories et blocages » qui freinent actuellement le décollage économique. Dans ce contexte, il livre sa vision critique qu'il a eu déjà à exprimer dans son discours d'ouverture des travaux du congrès de sa formation mercredi dernier. LENTEURS DANS LE TRAITEMENT DES DOSSIERS Réaffirmant avoir écrit lui-même ce discours qui reflète ses « intimes convictions », M. Ouyahia critique implicitement son prédécesseur, relevant en premier lieu le manque de coordination dans l'action gouvernementale. « Il y a, soutient-il, une absence d'harmonie dans la mise en œuvre de la pensée globale du président de la République. » Il ne se limite pas à cela, puisque, pour lui, l'économie est en panne de soutien de l'Etat. « Il faut s'attaquer à la partie du soutien à l'investissement et du soutien économique qui n'est pas la construction des écoles, des lycées, des routes ou de je ne sais quoi ! », a-t-il clamé, précisant dans ce sillage que « l'investissement, c'est beaucoup de choses en même temps ». Pour étayer ses propos, il cite l'exemple des crédits octroyés par les banques dans le cadre de l'Ansej. Là encore, son constat sonne comme une critique à son prédécesseur : « En 2006 et en 2007, le niveau des dossiers acceptés par l'Ansej a chuté. Or que je sache, tout investissement financé par les banques dans ce cadre est garanti par l'Etat. Si la banque a une affaire qui ne tourne pas, il y a un dispositif mis en place depuis maintenant presque 10 ans et révisé et soumis en 2003 à l'assemblée générale des banques algériennes qui l'ont approuvé. Alors, pourquoi ça ne marche pas ? » M. Ouyahia précise qu'il n'est pas en train de faire le procès des PDG des banques. Alors de qui s'agit-il ? Du gouvernement ? Possible ! A l'origine, explique-t-il, le circuit de traitement des dossiers est « trop lent ». Il s'engage ainsi à « mettre bientôt un peu plus d'huile dans les rouages ». Tout en rendant hommage au président Bouteflika pour avoir secoué, dit-il, le « cocotier Algérie à mille et une reprises », M. Ouyahia avoue la lourdeur de la tâche. « C'est un vaste programme qui mobilise des dizaines, voire des centaines, de milliers d'agents publics. Le Président ou le gouvernement seul ne peut le concrétiser », fait-il remarquer, comme pour dire qu'en cas d'échec ce serait la responsabilité de tous. Evoquant la cohésion sociale et le chômage, le conférencier estime qu'il est du devoir du gouvernement de donner la chance à tout Algérien capable de gagner son pain, de trouver du boulot ou de faire un petit investissement. Cela en plaidant pour la fin de l'assistanat. Il ne trouve pas d'inconvénient qu'un Algérien s'enrichisse, s'il le fait d'une manière légale. Dans le cas contraire, il dit que la loi doit être appliquée dans toute sa rigueur. La lutte contre la corruption est un travail quotidien, affirme-t-il. « C'est une lutte sans pitié qui va être dure à gagner », soutient-il. Pour mieux illustrer sa détermination à en finir avec ce fléau, M. Ouyahia, en exprimant un avis personnel, dit être « pour l'établissement et l'application de la peine de mort pour les détournements massifs, pour les violences sur les enfants, pour l'enlèvement des personnes et pour les grands trafiquants de drogue ». Sur un autre chapitre, celui concernant les salaires des fonctionnaires, M. Ouyahia réaffirme sa position selon laquelle les augmentations doivent suivre le rythme de la croissance économique. Ce qui n'est pas le cas actuellement, selon lui, puisque les salaires des fonctionnaires ont connu 35% d'augmentation, alors que le taux de la croissance économique est à 5%. Une telle politique salariale constitue, d'après lui, un danger pour le pays, car elle est basée sur le pétrole dont les prix sont soumis à un marché volatile. « La fiscalité ordinaire ne couvre même pas les salaires et les pensions », fait-il observer.