Entre la volonté de nationaliser, de privatiser ou de créer des partenariats, l'Etat ne sait plus sur quel pied danser. La privatisation menée sous Temmar a été «un échec total», de l'avis de quasiment tout le monde. Sur plus de 1200 entreprises publiques proposées à la privatisation, à peine un tiers a été repris dans un processus conduit «n'importe comment», où l'on a privilégié «le copinage» et «le bradage», dixit l'économiste Camille Sari. D'autres, comme l'ancien syndicaliste au complexe d'El Hadjar et aujourd'hui député à l'assemblée populaire nationale, Smaïn Kouadria, y voit une opération de «corruption à grande échelle» qui a donné naissance à ceux qu'on nomme aujourd'hui «les nouveaux milliardaires». En clair, un ratage qui justifie, selon certains, la récente reprise par l'Etat de la majorité dans le complexe d'El Hadjar. Pour M. Kouadria, «la raison est économique : les emplois ont été réduits de moitié en dix ans (de 10 500 à 5300), les départs en retraite n'ont pas été remplacés, il n'y pas eu de création de nouveaux postes, ni d'investissements, des unités ont été fermées et aujourd'hui l'Algérie importe 10 milliards de dollars par an de produits sidérurgiques». Il s'agit donc «d'augmenter les capacités pour réduire la facture». Mais pour Amar Takjout, secrétaire général de la fédération nationale des travailleurs des textiles et cuirs, la question n'est pas uniquement économique, mais aussi «politique et sociale» qui ne souffre d'aucune «contradiction» avec le fait que le pays prône l'économie de marché. «Privatiser ne signifie pas ne plus avoir de responsabilité sur l'économie du pays. Quand il y a menace sur les emplois et la cohésion sociale, il est de la responsabilité de l'Etat d'intervenir pour aider l'entreprise à reprendre sa place sur le marché, en attendant de la céder par la suite».Le réengagement de l'Etat dans une entreprise initialement privatisée dans une conjoncture où elle a encore les moyens de le faire est-il pour autant gage de réussite ? L'une des raisons ayant conduit au mauvais fonctionnement des gros complexes industriels par le passé était leurs effectifs pléthoriques. La privatisation ayant conduit à un dégraissage conséquent de ces effectifs. Mais pour l'économiste Sari, «l'Etat n'a pas été un bon gestionnaire par le passé». Dans ce cas, reprendre, «pourquoi faire ?» «C'est de l'argent jeté par la fenêtre». Droit de préemption Les mêmes interrogations se posent au sujet de Djezzy et de Michelin Algérie, deux dossiers pour lesquels l'Etat est déterminé à faire jouer son droit de préemption. C'est une question de «souveraineté», commente un certain économiste. Smaïn Kouadria y voit simplement une application de la loi qui stipule «que le repreneur doit solliciter les pouvoirs publics et demander leur accord pour aller négocier la reprise des actifs». Dans le cas de l'alliance Michelin Algérie-Cevital, «ça a été des négociations clandestines auxquelles les pouvoirs publics n'ont pas été associés». L'action de l'Etat s'explique aussi par le fait qu'il y a eu «toute une mobilisation au niveau des travailleurs et du syndicat de l'entreprise Michelin Algérie qui ont rédigé une lettre au président de la République pour le sensibiliser à leur situation. L'Etat s'est dit prêt à régler les 1,7 milliard de dinars plus les 10% du droit de préemption» que réclame Michelin. Le ministre de l'Industrie, Amara Benyounes, a justifié la décision de l'Etat par la volonté de préserver «l'activité industrielle qui risque de disparaître» et aussi par le fait que le prix de la transaction «est sous-évalué».Cevital, qui avait également montré son intérêt par le rachat de Djezzy, se verrait à nouveau débouté puisque dans le cas de Michelin, le groupe de Rebrab avait prévu de transformer le site industriel en d'autres activités. D'aucuns se demandent, cependant, pourquoi l'Etat qui continue à appeler le privé national à l'investissement et au partenariat dans le secteur industriel ne lui cède pas la place quand l'occasion de présente. Pour certains, comme le syndicaliste Amar Takjout, «il n'y a pas de grands groupes privés industriels. Il ne faut pas se leurrer, nous avons surtout de grands groupes d'importateurs». L'économiste Camille Sari considère quant à lui que le secteur privé est «à favoriser», car «le lobby des importateurs n'est pas constitué par des industriels privés, mais plutôt par un réseau de mafieux proche du pouvoir, qui relève de l'économie parasitaire». Au final, le partenariat qu'il soit avec le privé national ou étranger reste une option à considérer, selon notre interlocuteur «à condition que l'Etat reste minoritaire». Il faut faire «cela avec discernement : ne pas donner carte blanche aux spéculateurs, sans punir tout le monde». A défaut de privatisations, il semble que l'Etat soit justement désireux de privilégier de plus en plus le partenariat. Les récents appels lancés l'été dernier par le ministère du développement industriel et de la promotion de l'investissement et allant dans ce sens conforte cette option. Et, afin d'avoir l'avis de la tutelle, nous avons tenté de joindre le ministère du développement industriel et de la promotion de l'investissement pour plus de précisions, malheureusement notre requête est restée sans suite.