La part du mort, édition Julliard, 414 pages, c'est le titre du dernier roman de Yasmina Khadra, lequel a déjà publié, entre autres récits, Les Hirondelles de Kaboul, L'automne des chimères, Morituri, Les agneaux du seigneur... On croise encore ici la route du commissaire Brahim Liob, qui est aussi pour l'occasion romancier. Il vit des épisodes durs, fous, et meurtriers. Cela se passe à l'époque Chadli. Alger est décrite comme un vrai cauchemar. C'est la capitale improbable d'un pays à la dérive. Le commissaire est carrément « embedded » dans une histoire hallucinante par une journaliste qui enquête sur les massacres des harkis et d'autres familles algériennes parfaitement innocentes de collaboration avec l'ennemi dans les jours qui ont suivi, en 1962, les fêtes de l'Indépendance. La verdeur littéraire Ecriture de l'Histoire (encore occultés) ou roman policier, c'est-à-dire une fiction pure et simple : le roman balance entre les deux. Yasmina Khadra semble avoir perdu de son humour, en tout cas, ça passe mal ici, car le récit est écrit dans une prose brutale, incisive et stupéfiante. Il s'agit de la surveillance d'un supposé « sérial killer » qui bénéficie d'une grâce présidentielle. Et cela débouche vite sur une enquête mouvementée, parsemée de cadavres et d'agressions sauvages, concernant d'autres spécimens particulièrement ignobles et dangereux aux yeux du commissaire et de sa compagne que rien n'intimide. Ces personnages sont d'anciens « héros » de la guerre de Libération, recyclés membres permannents du bureau politique du FLN, mais des types recyclés surtout dans la corruption, le trafic tous azimuts et les assassinats. D'anciens maquignons montés au maquis dont l'esprit s'est détraqué après l'euphorie de l'indépendance. Un certain Hadj Thobane, au centre du récit, est le parfait specimen de ces « zaïms » diaboliques dont l'Algérie a hélas hérité. C'est la cible en tout cas de l'enquête du commissaire Liob. Yasmina Khadra enchaîne récit policier (ce qui a fait son succès) et autopsie audacieuse de la société algérienne. On sent bien que le sévère traumatisme qu'a connu notre pays pendant les « années noires » hante chaque page de ce roman. On sent bien aussi que Yasmina Khadra semble avoir fait son deuil d'une Algérie heureuse.