L'Algérie a fait de moi un homme.» Ainsi parlait Madiba lors de sa visite à Alger, en mai 1990. Deux mois seulement après sa sortie de la prison Robben Island. Le témoignage est de Noureddine Djoudi, ancien ambassadeur d'Algérie en Afrique du Sud et interprète de Nelson Mandela. Tayeb Belghiche, éditorialiste à El Watan, raconte la ferveur populaire suscitée par la visite du leader de l'ANC dans la capitale algérienne ; il se souvient de cet accueil officiel pas du tout «à la hauteur» de la légende sud-africaine. «Mandela vénérait l'Algérie combattante», témoignait le journaliste qui couvrait à l'époque l'événement. «Son premier voyage à l'étranger, à sa sortie de prison, Mandela le réserva à l'Algérie et ce, au moment où toutes les capitales mondiales le réclamaient à cor et à cri.» Mai 1990, à l'aéroport d'Alger, pas de faste ni de tapis rouge pour l'icône flamboyante des peuples en lutte pour leur liberté. «Sur le tarmac, il n'y avait pas le président Chadli, seulement le ministre des Affaires étrangères Sid Ahmed Ghozali et le secrétaire général du FLN, Abdelhamid Mehri.» Froissés, les décideurs algériens étaient «contrariés», confie une source du comité d'accueil par la demande formulée par Mandela de rencontrer le président Ben Bella, Chawki Mostafai et Cherif Belkacem, personnages que le résistant sud-africain avait rencontrés au maquis. Sid Ahmed Ghozali avait reçu en mai 1990 le prophète de la lutte anti-apartheid. Il garde des souvenirs indélébiles de chacune de ses rencontres avec Mandela. «A Alger, il était venu pour dire aux Algériens toute sa reconnaissance à l'Algérie combattante.» Dans ses trois meetings animés en Algérie, sa conférence télévisée à la RTA, Mandela n'avait de cesse de réitérer que sa «formation, il la devait à l'ALN», conte Ghozali. «C'est que Mandela entretenait une relation spéciale à l'Algérie», ajoute-t-il. «Imaginez Mandela arrêté quelque temps après qu'il avait séjourné dans les maquis algériens et qui ne pense, à sa sortie de prison, qu'à se faire inviter en Algérie alors que tous les grands de ce monde se précipitaient vers lui et le réclamaient.» L'ancien chef de gouvernement avoue tout le privilège d'être l'un des rares responsables algériens et étrangers à l'avoir côtoyé de près et rencontré nombre de fois. Ghozali garde en mémoire ces «cinq heures mémorables» de vol Abuja-Alger à bord de l'avion présidentiel : «A Abuja, à la fin du sommet de l'OUA, en juin 1991, il m'avait demandé si je pouvais le déposer à Paris. Ce que je fis. Après m'avoir déposé à Alger, l'avion présidentiel continua son vol vers la capitale française et à son bord, Nelson Mandela.» Dans les années 1960, Djelloul Malaïka coordonnait l'action de nombre de mouvements de libération dont il était l'interface à Alger du temps où celle-ci était un carrefour pour combattants de la liberté. Malaïka se souvient de l'arrivée (en 1961 et plus tard, après le cessez-le-feu, en mars 1962) des combattants de l'ANC dans les bases de l'Armée de libération nationale à Oujda. «Mandela était subjugué par la révolution algérienne, confie-t-il. Il nous disait que la Révolution algérienne était la révolution de l'espoir. Et effectivement, bien avant même l'indépendance, la Révolution algérienne accueillait et inspirait déjà les combattants de la liberté venus du monde entier. Du Mozambique, d'Angola, de Guinée Bessau, du Cap Vert, etc.» Comme Madiba, Amilcar Cabral, le leader nationaliste cap-verdien, pensait avoir trouvé en l'Algérie la terre sainte de la résistance. «Les musulmans vont en pèlerinage à La Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération nationale à Alger !» dixit Amilcar.