Les opérations du commerce extérieur sont plus que jamais gravées du sceau de la fraude. Jugées comme l'un des canaux les plus importants en termes de flux financiers illicites, elles sont le reflet le plus édifiant de la généralisation de la corruption et de l'hégémonie de l'informel sur l'ensemble des secteurs de l'économie nationale. C'est du moins ce que l'on pourrait conclure à la lecture du dernier rapport du Global Financial Integrity (GFI), organisme américain, comptant de nombreux hauts magistrats et financiers spécialisés dans la traque de la fraude fiscale et le blanchiment d'argent. Et pour cause, le document en question parle de pas moins de 15 milliards de dollars de flux illicites ayant grevé la balance des paiements en Algérie entre 2002 et 2011, soit une moyenne annuelle de 1,5 milliard de dollars. Moyenne qui est d'ailleurs loin de refléter l'évolution réelle des transferts. Car, si au début de la décennie, les flux financiers considérés illicites n'atteignaient pas les 500 millions de dollars, ces derniers ont connu une croissance exponentielle pour atteindre des pics à mesure que les cours du baril de pétrole flirtaient avec les records. C'est ainsi que les transferts illicites ont atteint un pic de 3,35 milliards de dollars et 3,73 milliards de dollars en 2008 et 2009 pour redescendre à 1,26 milliard de dollars et 2,2 milliards de dollars en 2010 et 2011. Bien qu'ils soient importants, les chiffres publiés par le GFI sont pourtant loin de refléter la réalité de la saignée en devises. Le fait est que le GFI s'appuie, pour ses conclusions, sur les écarts enregistrés par la balance des paiements et qui représenteraient les flux financiers illicites via les erreurs et les omissions sur les éléments de calcul de la balance des paiements. Méthodologie qui permet d'ailleurs de dresser un tableau exhaustif des fraudes en matière de commerce extérieur, autrement dit les surfacturations d'un côté et les sous-facturations de l'autre. Cependant, elle reste insuffisante, pour se faire une idée précise de l'étendue du fléau dont pâtissent les équilibres financiers algériens, dans la mesure où elle ne prend pas en compte les flux financiers transitant par les circuits informels, et leur point focal, le square Port-Saïd. En tout état de cause, l'analyse de l'évolution des flux financiers illicites et les digressions que l'on peut en faire, en ce qui concerne le commerce extérieur, pourraient constituer une grille de lecture pour le moins intéressante pour l'analyse de nos échanges extérieurs avec le reste du monde, notamment avec l'Asie dans la mesure où les paradis fiscaux comme Hong Kong, Singapour et Dubaï sont considérés par le GFI comme étant les caisses noires par lesquelles transitent la majorité de ces flux. Surfacturation et corruption… Le GFI explique d'ailleurs dans un contexte plus globalisé, et au-delà du cas particulier de l'Algérie, que les transferts illicites que l'on peut mesurer transitent par deux canaux, les fuites sur la balance des paiements, et les falsifications délibérées des transactions du commerce extérieur, eux-mêmes alimentés par un ensemble de facteurs tels que les problématiques de faible gouvernance dans un environnement caractérisé par le poids de la corruption, ainsi que les mesures règlementaires sur le commerce extérieur que certains opérateurs peuvent considérer comme étant une confiscation. Le GFI précise d'ailleurs que ces opérateurs, pour conserver des devises à l'extérieur, recourent à la surfacturation lorsqu'il s'agit d'importer des marchandises, et à la sous-facturation lorsqu'il s'agit d'en exporter. Si l'on transpose l'ensemble de ces données au cas algérien, il devient donc clair qu'en présence d'un matelas confortable en devises alimenté par la rente pétrolière, dans un environnement caractérisé par la généralisation de la corruption et un resserrement réglementaire inefficient, les conditions se réunissent pour l'accélération des transferts illicites. Ce qui n'est pas sans impact sur les équilibres financiers externes de l'Algérie, laquelle enregistre une hausse crescendo de ses importations en valeur, et un déclin de son excédent commercial. Globalement, il serait utile de noter que le rapport du GFI précise que la valeur nominale des flux illicites de capitaux, à partir des pays en développement, a atteint 946,7 milliards de dollars en 2011, soit une hausse de 13,7% par rapport à 2010. Les pays de la région MENA bénéficient, du moins pour certains d'entre eux, de hauts revenus issus des hydrocarbures, le taux tendanciel de croissance des flux illicites étant le plus élevé au cours de la dernière décennie avec une hausse annuelle moyenne de 31,5%.