Le décompte macabre est là pour réprimer tout optimisme béat : des milliers de cancéreux sont morts ou continuent de mourir en silence. Les activités du service de radiothérapie du centre anticancer (CAC) du CHU Ben Badis, de Constantine, ont repris le 9 septembre de l'année en cours, après une fermeture qui aura duré 9 longs mois pour cause de travaux et installation d'un seul accélérateur, sur les trois acquis récemment. Seulement 40 malades/jour (tout type de cancer confondu) sont traités, soit les cas les plus urgents, nous confie un manipulateur en radiologie. Ils sont issus de 17 wilayas de l'Est. Deux cent dix-neuf malades (219) entre traités et en cours de traitement sont enregistrés durant les trois derniers mois, c'est-à-dire depuis la réouverture du service. Entre-temps le nombre de malades a atteint 12 000 au niveau de l'Est du pays ; 1450 d'entre eux sont en attente de traitement, dont seulement une centaine ont pu décrocher un rendez-vous pour la fin janvier prochain. Est-ce réellement une victoire ? Ce n'est guère l'avis de certains praticiens qui avouent être impuissants devant le désarroi de leurs malades, lesquels ne sont même pas sûrs de pouvoir accéder à la radiothérapie. «Cette situation, estiment de leur côté quelques malades rencontrés sur place, a l'air de satisfaire amplement certains responsables, qui trouvent encore le moyen de faire des reproches à ceux qui la dénoncent, les accusant de faire dans l'alarmisme». Le décompte macabre est pourtant là pour réprimer tout optimisme béat : des milliers de cancéreux sont morts ou continuent de mourir en silence. Oserait-on rendre publiques les statistiques ? «A ceux-là (les responsables, ndlr) nous répondons qu'ils sont plus soucieux de leurs carrières que de notre marasme, sinon ils se seraient battus pour lever tous les obstacles générés par une bureaucratie abjecte, devant laquelle ne comptent pas les morts», a lancé, dépitée, l'accompagnatrice d'une malade venue de Annaba. Il est vrai que lors de notre récente visite au service de radiothérapie, nous avons constaté un grand changement dans le décor : une salle d'attente flambant neuve, des écrans plasma pour distraire les malades dans leur attente, et un accueil plus humanisé. Mais parallèlement, un chantier qui s'éternise, pas de chauffage central (seulement des résistances offertes par des bienfaiteurs), pas de cabinet de consultation digne de ce nom (un réduit dans une niche d'escalier et issue de secours), des sanitaires non fonctionnels, et bien sûr le nombre limité de malades parce qu'une seule machine est en exploitation. «Il faut être optimiste, se réjouit un médecin, car il y a quand même des vies sauvées par rapport à la situation dramatique qui prévalait avant, avec 10% des malades inscrits qui décédaient avant leur rendez-vous». Les lenteurs bureaucratiques assassinent l'espoir Les deux autres accélérateurs n'ont pas été installés à cause de l'ancienne machine à cobalt, un mastodonte qui trône toujours dans le bunker. «Depuis le temps que ces sources radioactives auraient dû être rapatriées vers la maison-mère, au Canada !» déplore-t-on. «Des années passées dans de scandaleuses tergiversations !», s'étaient, à l'époque, insurgés des oncologues. Joint au téléphone, à ce propos, le directeur du CHU, Abdeslem Rouabhi, nous annoncera que le marché a été approuvé avec les concernés au Canada, et qu'un container spécial pour acheminer ces sources en toute sécurité sera envoyé d'ici le 21 ou 22 du mois en cours ; le 25 du même mois arriveront les spécialistes chargés de leur rapatriement (nous sommes le 31, et toujours rien !). «Ces sources ne peuvent en aucun cas être rapatriées par voie maritime ; elles seront directement ramenées par voie aérienne via Alger ; une fois qu'elles seront démantelées, on commencera les travaux pour accueillir le nouvel équipement ; si tout va bien, la réception des deux machines se fera en fin avril, et on pourra alors traiter 280 à 300 malades/jour», a-t-il affirmé. Selon lui, le problème sera définitivement réglé avec l'ouverture des CAC de Batna, Sétif et Annaba. «C'est scandaleux que des gens meurent faute de traitement», a-t-il regretté. Autre excellente nouvelle pour les malades : l'installation effective (mardi 17 décembre) du scanner dédié à la radiothérapie en 3D. Ce qui devra considérablement améliorer l'image et permettre de passer au traitement d'une centaine de malades/jour à court terme, selon un oncologue. Les négociations pour faire baisser le coût du scanner, soit 69 millions de dinars à 60 millions de dinars, -le montant de l'enveloppe qui était préalablement destinée au ressourcement des anciens cobalts (avant la décision de les remplacer par les nouveaux accélérateurs)-, ont enfin abouti avec General Electric, selon le directeur du CHU. «Nous avons dû changer l'intitulé de l'enveloppe pour gagner du temps par rapport aux procédures administratives», précise-t-il. Où en est l'extension du service de radiothérapie ? Aujourd'hui, l'extension de la radiothérapie est une lugubre bâtisse grise, inachevée. Le chantier a démarré en 2007 pour un coût initial de 50 millions de dinars. L'idée d'une extension concernait au départ juste la salle d'attente, avant de devenir un projet plus important, lequel malheureusement n'a pas été au diapason des ambitions affichées en théorie. L'extension devait abriter cinq services recelant 12 lots : consultation, hospitalisation, anatomie pathologique, radiothérapie et chirurgie. Or, c'est à peine si cette enveloppe peut prendre en charge le lot n° 1. «Il s'est avéré que ce montant ne peut couvrir la réalité du marché approuvé qui représente pratiquement 5 fois le coût initial, plus précisément 242 millions de dinars. La réalité du terrain imposera, en 2010, une réévaluation financière à 400 millions de dinars, et 560 millions de dinars en 2012», nous apprend M. Rouabhi, qui nous fera un compte rendu exhaustif des nouvelles estimations financières surgissant au gré des imprévus liés au projet. Entre-temps, le chantier est à l'arrêt depuis plusieurs années. La bâtisse est livrée, sans merci, à la rouille et à la détérioration, avons-nous constaté de visu. En tout état de cause, le DG du CHU semble déterminé à œuvrer pour faire avancer les choses et opérer des changements positifs au sein de tout le centre hospitalier universitaire de Constantine.