Un miroir pour renvoyer leur propre image à ceux qui n'ont que la force pour nous empêcher de penser. Quelle idée formidable ! Cette semaine entre la Tunisie et nous, cela aurait été la Galerie des glaces ! Kamel Daoud en tête brandissant un miroir à cet homme déguisé en journaliste, Ferid Boughedir, cinéaste tunisien, coupable d'avoir fait Un été à la Goulette et d'avoir osé dire que des Tunisiens juifs et musulmans partageaient tous les plaisirs de la vie, levant un miroir devant le visage déformé par la haine de ce député d'Ennahda (l'histoire oubliera son nom comme je l'ai oublié) qui l'accuse de porter atteinte à la pureté de la nation tunisienne. «Seuls les musulmans peuvent être Tunisiens», éructa-t-il pendant la discussion de l'article sur la culture à l'Assemblée constituante. Et les cent et les mille miroirs tendus en vain à Ghardaïa. Mettre l'autre devant sa laideur de flic, de censeur, de juge divin, lui montrer que sa «grandeur» est celle d'une baudruche, et le voir se dégonfler devant l'image de soi ! Quelle belle et élégante stratégie ! Mais attention, ça ne peut marcher que dans la mesure où l'âme de nos censeurs a une faille par laquelle leur image peut entrer et faire un travail de sape, remise en question comme le montre sur cette photo prise dans un pays de l'Est, la moue d'un petit soldat-flic reflété dans le miroir tendu par une manifestante. Un choc pour lui de «se voir» en cerbère, ces chiens gardiens de l'enfer. Il semble prêt à passer de l'autre côté. Alors là oui, le miroir devient une arme efficace. Et chez nous ? J'ai des doutes. Leur tendre un miroir ne ferait que renforcer cette assurance d'être en mission contre des ennemis de la nation quand ce n'est pas d'être appelés par Dieu lui-même pour faire régner sur terre sa Loi. Ce père fouettard qui pense avoir tous les droits sur la nation, la terre des ancêtres, la patrie et sur ses habitants, nous sommes nombreux à l'avoir vu au moins une fois. Dans ce miroir, il se regarderait avec ce contentement de soi démesuré qui lui fait considérer les autres comme des cafards. Combien d'hommes et de femmes, jeunes et vieux, de savoir, de culture, de mérite se sont trouvés face à ce mépris ? Qu'il se voit dans un miroir levé par un être fragile qui ne tire sa force que de son désir de vivre ne suffira pas à ébranler son instinct de domination. Pauvres gens de rien que nous sommes. Dans quel miroir, et qui le lui a tendu, Paul Aussaresses s'est regardé pour enfin avouer qu'il a assassiné Maurice Audin sur les ordres de Maurice Massu ?