On lit Poésie sur Alger, un texte de 79 pages écrit par Le Corbusier, le maître de l'architecture moderne, des pages poétiques remarquables, illustrées d'images et de dessins, tout en étant ravis, bouche bée, à l'idée de ce qu'aurait pu être Alger. Il manque quelque chose à Alger, ces projets faramineux imaginés par Le Corbusier et qui n'ont jamais vu le jour. L'architecte suisse voulait s'acquitter d'une dette amoureuse, d'un devoir impératif envers Alger qu'il a passionnément aimée. Il avait, dans les années trente, imaginé de transformer radicalement le visage de la ville. Mais personne ne l'a écouté. L'Algérie était hélas une terre colonisée, envahie et le gouverneur français disait que les projets qu'on lui montrait n'étaient pas les siens. De nombreux architectes coloniaux étaient alors aux abois, désespérant de voir Le Corbusier gagner son pari.A force d'intrigues, ils ont fini par faire la loi. Le Corbusier a quitté l'Algérie sans rien entreprendre, tout son travail est resté lettre morte. L'œuvre algérienne de Le Corbusier est résumée avec amertume et regret dans ces pages. Pour lui, la partie haute de La Casbah devait être conservée en tant que patrimoine d'art unique au monde. Tous les palais sauvegardés. La partie basse de la vieille ville serait destinée à devenir un centre d'attraction touristique, comme les souks de Marrakech et Fès par exemple, un temple d'artisanat. Un centre d'affaires sous forme de gratte-ciel serait planté dans le quartier de la Marine, ensuite poussé vers le Bastion 15. A la Scala, sur les hauteurs de Fort l'Empereur, Le Corbusier voulait voir de vastes et hauts immeubles d'habitation où les fenêtres donnent sur la mer. «La poésie rayonne sur Alger», écrit-il en définissant ce qu'il appelle les joies essentielles de la capitale d'Afrique du Nord : soleil, espace, verdure. Il note ceci avec un certain enthousiasme : «La mer, la chaîne de l'Atlas, les monts de Kabylie déploient leur faste bleu. La terre est rouge. Les végétations sont de palmiers, d'eucalyptus, de gommiers, de chênes-lièges, d'oliviers et de figues de Barbarie. Les parfums sont de jasmin et de mimosa. Du premier plan jusqu'aux confins des horizons, la symphonie est immanente.» Le Corbusier détestait l'architecture coloniale et tous les immeubles des rues d'Isly et Michelet où «l'air est mauvais et d'où l'on ne voit rien, rien du tout : ni mer, ni bateaux, ni montagnes, ni étendues, ni arbres, ni terre rouge, ni personne qui sache se donner du bon temps». L'ultime projet (fort réjouissant), c'était de planter une oasis de palmiers sur le port d'Alger ! Une oasis verte ondoyant aux brises de la Méditerranée. Voici comment il défend ce projet : «Au sol, un palmier n'encombre pas plus qu'un tabouret. A vingt mètres, il s'épanouit comme un feu d'artifice.» Dans ses rêves, Le Corbusier voyait déjà sa palmeraie étendant un tapis de houle douce et verte aux pieds de la ville, jouxtant la houle bleue des flots. L'architecte nourrissait une foule d'autres projets retentissants pour Alger, - parcs, routes, habitats -, mais il n'en accomplira aucun. Sa grande amertume est dans ce texte poétique dédié à Alger. Une déclaration d'amour émouvante. Le Corbusier : Poésie sur Alger, Editions Barzakh, 2014, 79 pages, 900 DA