Les experts européens qui ont pris part au séminaire organisé à Ghardaïa par l'Office de protection et de promotion de la vallée du M'zab, avec la collaboration de l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger, sous le thème « La vallée du M'zab, patrimoine de l'humanité face aux nouveaux enjeux et défis », du 10 au 12 décembre, ont été unanimes dans leur constat de l'importance des efforts consentis par les habitants du Oued M'zab pour conserver et perpétrer le patrimoine humain et culturel dont s'enorgueillit leur région. Ghardaïa : De notre envoyée spéciale Car la transmission de génération en génération du génie fondateur de la pentapôle, c'est-à-dire de l'architecture des anciens ksour, particulière et parfaitement adaptée à l'environnement, est assurée par un encadrement technique suivi et éclairé de l'OPVM, rendu plus opérationnel depuis le classement en 2005 de la vallée du M'zab comme « secteur sauvegardé ». Le classement en 1972 de la vallée comme patrimoine national ne dotait pas encore cette dernière de périmètre juridiquement protégé. L'attachement ancestral des Mozabites à leurs traditions n'a pas suffi, malheureusement, à freiner l'urbanisation frénétique provoquée par la croissance démographique et les mutations sociales et économiques qu'a connues le pays et qui n'ont pas épargné cette forteresse du Sud. L'un des participants au séminaire de Ghardaïa, Michel Brodovitch, architecte urbaniste, consultant auprès de l'Unesco, reconnaît « le mérite des autorités locales qui ont compris que leurs seuls efforts ne pouvaient suffire à préserver ce patrimoine culturel et font appel aux experts nationaux et internationaux pour le sauvegarder ». Mais l'architecte français ne cache pas son amertume lorsqu'il s'agit de dresser un bilan sur le devenir de la palmeraie de la Vallée du M'zab. « Il faut que les Mozabites utilisent leur capacité de mobilisation, qui a fait ses preuves dans le domaine de la restauration des ksour et la construction selon le style ancestral, dans la réhabilitation du système hydrique traditionnel et l'assainissement des nappes phréatiques, à présent toutes contaminées, mais surtout dans le maintien en vie des palmeraies menacées. » Cette vision de l'expert de l'Unesco n'est pas catastrophique. Au retour d'une virée dans les jardins de Ghardaïa, Brodovitch semble effaré par le changement lamentable survenu en peu d'années. Il nous confie avoir accompagné la représentante de l'Unesco, une experte tunisienne, qui préfère ne pas nous dévoiler le fond de sa pensée, vu sa mission délicate – l'Unesco est tenue d'encadrer, conseiller et assister et non de blâmer les Etats membres pour maintenir de bons rapports avec eux – pour lui montrer la beauté du site. « La palmeraie se rétrécit comme une peau de chagrin », décrète Brodovitch. Face à l'avidité des héritiers du patrimoine immobilier qui se partagent en minuscules parcelles les terres jadis plantées de magnifiques palmiers pour y construire des habitations où le mauvais goût la dispute à la construction abusive la plus chaotique, comme c'est le cas ailleurs en Algérie, les défenseurs de la palmeraie semblent désarmés. Le béton suffoque la palmeraie Les rapports alarmants rédigés par des experts de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, atterrés par la disparition progressive de milliers d'hectares de palmeraies à travers le Maghreb, ne parviennent pas à mettre le holà à cette véritable déprédation. D'ailleurs, lorsque le regard embrasse Ghardaïa de haut, avant l'atterrissage, il ne rencontre plus ces étendues vertes qui inspiraient paix et sérénité à qui s'apprêtait à séjourner dans la région. A moins d'un plan d'urgence soutenu par une législation rigoureuse et immédiatement applicable, destiné à sauver les palmeraies de la vallée du M'zab, Ghardaïa connaîtra dans moins d'une décennie le sort de Marrakech, antique verdoyante capitale des Almoravides où certains hôtels de tourisme de basse gamme en sont réduits à exhiber de faux palmiers dans leurs halls pour tromper les touristes en mal d'exotisme à l'ombre de mythiques oasis. Les experts européens revenus à Ghardaïa nous affirment qu'en moins de 4 ans, 20% de la palmeraie locale a déjà disparu. « S'il n'y a pas une prise de conscience agissante, la vallée sera perdue », avertit Brodovitch, qui nous explique que « le territoire a été consommé » et que « même si le mal a été fait », les autorités possèdent la solution. Une volonté politique qui délimite par une réglementation ferme un périmètre autour du chef-lieu de Ghardaïa et y interdit la construction, notamment dans les surfaces couvertes de palmeraies. Certes, il s'agit d'oser des décisions impopulaires. Les responsables locaux ne comptent pas se mettre à dos les notables, les opérateurs économiques et les hommes d'affaires, très influents dans la région. Mais faut-il rappeler que la Vallée du M'zab n'appartient pas qu'aux habitants de Ghardaïa, mais bien à tous les Algériens et à toute l'humanité, notamment depuis sa classification en 1982 sur la liste du patrimoine mondial à préserver. Michel Meert, architecte urbaniste, professeur à l'université de Bruxelles, avait vécu dans le M'zab dans les années soixante-dix et ne reconnaît plus, lui aussi, le majestueux site de la Vallée. Mais cela ne le décourage pas outre mesure ; sa décision est prise : il reviendra s'installer à Ghardaïa où il rêve de fonder « un centre de données sur la construction saharienne ». Un projet qu'aurait appuyé André Ravéreau, l'architecte français qui fut subjugué par la particularité du M'zab et s'y installa pendant des décennies, construisant et élaborant ses théories sur le style sobre et fonctionnel des maisons mozabites. Sa fille, Maya, architecte elle aussi, a eu du mal à contenir son émotion lorsque les organisateurs du séminaire de Ghardaïa ont consacré une cérémonie officielle à la mémoire de Ravéreau et de son apport académique destiné à faire connaître le patrimoine architectural du M'zab. Mais Ghardaïa qui a fasciné des architectes européens, qui en ont saisi la riche particularité, suscite encore plus l'intérêt de ses fils architectes comme le directeur de l'Office de protection et de promotion de la vallée du M'zab, Zohir Ballalou, infatigable défenseur du M'zab tant en Algérie qu'à l'étranger, où il a eu un rôle déterminant pour faire connaître le patrimoine de sa région. L'un des participants à la rencontre de Ghardaïa le dira d'ailleurs sans demi-mot, « la grandeur du M'zab ne tient pas à ce que des architectes comme Le Corbusier (architecte et peintre français d'origine suisse) où Ravéreau en ait parlé, mais au génie de ses fondateurs qui l'ont bâtie il y a plusieurs siècles ». Et c'est tout naturellement que le cri du cœur appelant une intervention urgente pour sauver les palmeraies du M'zab vient d'un expert algérien qui, avec une passion lucide, avertit : « Observée sous l'optique de la pression exercée par l'urbanisation sur les palmeraies, la situation est certainement grave'. » Yassine Ouagueni, architecte restaurateur, enseignant à l'Epau et expert pour le patrimoine auprès du ministère de la Culture, s'il lance ce constat réaliste, il veut bien croire que si l'OPVM, les autorités locales et le ministère de la Culture ont réussi à sauver les ksour de Ghardaïa, rien n'empêche d'arrêter « cette désacralisation de la terre nourricière qui en a fait un simple et amer terrain à bâtir ».