Bien avant l'indépendance du 5 juillet 1962 et en pleine guerre de libération, l'Algérie est entrée de plein fouet dans une zone de turbulence et de conflit pour déterminer qui doit diriger la révolution, les militaires ou les politiciens ? Concernant cette problématique, tout le monde sait comment elle s'est résolue, et bien sûr en faveur de la prédominance du militaire sur le politicien. Partant des précédents historiques et de la nature des révolutions, ce n'est pas étonnant de constater que les dirigeants des mêmes révolutions sont à la fois militaires et politiciens. Et dans ce cas, l'Algérie n'a pas fait exception et c'est compréhensible. L'incompréhensible, c'est la prolongation après l'indépendance de notre pays et durant plus de quatre décennies jusqu'à nos jours de ce système de gouvernance un peu bizarre où les politiciens et les militaires se partagent le pouvoir au nom d'une légitimité au départ historique et maintenant populiste. Le hic dans tout cela, c'est qu'ils veulent nous faire avaler la couleuvre que l'Algérie est un pays démocratique, et l'accès au pouvoir et son exercice sont soumis à la volonté populaire comme si notre pays était à l'avant-garde des pays démocratiques ; hélas la réalité est toute autre, une petite comparaison avec les jeunes démocraties européennes, comme la République tchèque ou la Pologne pour ne pas dire l'Espagne ou le Portugal, nous indiquera qu'on est loin du smic démocratique. Par conséquent, le diagnostic de la nature de notre système politique nous amènera à bien comprendre la paralysie et la panne d'idées de nos pseudo-institutions et de la classe dirigeante algérienne. Un futur incertain En premier lieu, nous tenons à souligner que notre système politique est un système hybride et confus où se combine le système présidentiel avec le système parlementaire ; dont le président de la République dispose des prérogatives qui dépassent de loin celles d'un chef d'Etat dans un système parlementaire et à la fois le gouvernement exerce le pouvoir sans tenir les prérogatives d'un gouvernement régi par un système parlementaire. Par conséquent, la confusion est totale, quoique la balance aille en faveur du chef de l'Etat, à titre d'exemple le président de la République peut légiférer par ordonnance ou décret - prérogative de laquelle ont abusé tous les présidents algériens au détriment du parlement -, désigner et nommer le gouvernement et son chef sans respecter la majorité parlementaire et sans consulter avec les groupes parlementaires qui constituent l'Assemblée populaire nationale ; chose qui ne se passe pas dans les démocraties parlementaires, sauf bien sûr dans les républiques bananières ou dans les républiques couscoussières. Ironie mise à part, ce système a enfanté des institutions dysfonctionnelles sans tête ni queue au service des tenants du pouvoir pour en faire des caisses de résonance à leur guise. Le Parlement est une simple chambre d'enregistrement sous menace de dissolution, si elle n'accomplit pas les ordres des tenants du pouvoir, le Sénat un mort-vivant dont son tiers est désigné par le président de la République chose qui ne s'est passée dans aucun Etat démocratique, le tribunal constitutionnel une coquille vide, le pouvoir judiciaire dépendant, médiocre et corrompu. La liste est longue si l'on veut s'approfondir dans le diagnostic des maux de nos institutions et le constat est plus que négatif. En deuxième lieu, nous tenons à souligner la qualité de la classe qui nous gouverne depuis l'indépendance à nos jours. Pour commencer, c'est une classe formée dans l'école du tribalisme, du zaïmisme, du régionalisme et du populisme avec comme unique souci le pouvoir et ses prébendes, sinon comment expliquer la longévité de ces rapaces pseudo-politiciens. Et comment expliquer qu'un pays comme l'Algérie riche en tout se trouve dans une situation d'impasse avec un futur incertain, un peuple appauvri et les caisses pleines d'argent. Le bilan de plus de quatre décennies de gouvernance de ces dinosaures est plus qu'un échec, c'est une catastrophe. Mais bien sûr comme le peuple ne peut pas choisir ses représentants librement, ces vautours vont perdurer collés aux sièges jusqu'à leur mort, parce qu'ils n'ont ni l'honneur, ni la dignité, ni l'étique de reconnaître qui sont incapables de mener l'Algérie à bon port et démissionner pour favoriser l'émergence de nouvelles élites politiques et d'une société civile responsable et compétente, afin de construire une authentique démocratie avec l'édification d'institutions dignes de ce nom et sortir de cette situation de léthargie et d'état de transition permanente. En troisième lieu, nous tenons à souligner l'absence d'opposition démocratique qui doit servir de contre-pouvoir aux dépassements de nos gouvernants ; notre soi-disant opposition démocratique est égoïste, dispersée et sans projet dans le futur. Les leaders de ces partis politiques autoproclamés démocrates, rhétorique à part, n'apparaissent que pendant les échéances électorales. Une fois terminées, ils se retirent dans leur tour d'ivoire pour continuer à verser dans la rhétorique, oubliant que la politique est un travail de proximité continu pour s'informer des conditions de vie des citoyens et les défendre auprès des institutions sans oublier l'apport continu d'idées au débat politique et aux préoccupations des citoyens pour l'amélioration des conditions de vie de notre peuple. Ne parlons pas du fonctionnement de ces partis soi-disant démocratiques, le seul fait que la plupart des leaders à la tête de ces partis sont les mêmes depuis 1989, nous informe suffisamment sur le talent démocratique de ces derniers. En ce qui concerne la société civile, celle-ci est inexistante ; tout ce qu'on a, se résume en un conglomérat d'associations appendices du pouvoir versé dans le clientélisme et ne pensant qu'aux privilèges oubliant la vocation naturelle des associations qui est de servir le peuple. Concernant les intellectuels et les artistes, quelques-uns se sont exilés, d'autres marginalisés et le reste au service de leur maître, le mouvement syndical dominé par la centrale syndicale et converti en un nid d'opportunistes est loin des aspirations de la classe ouvrière, exceptés les syndicats indépendants qui se débattent pour se frayer un espace d'expression et de revendication. L'unique rempart démocratique et authentique contre-pouvoir dont dispose notre peuple, c'est la presse indépendante, une presse pas parfaite mais de très bonne qualité qui n'a rien à envier à la presse occidentale. Cette presse indépendante acquise à coup de sang et de grands sacrifices, dont beaucoup de journalistes payeront de leur vie cet acquis, doit être préservée et défendue parce que c'est l'unique instrument dont dispose notre peuple pour contrer les abus de pouvoir de nos gouvernants. La lutte des journalistes doit servir d'exemple aux forces sincères et honnêtes de la nation pour la construction d'un authentique Etat de droit démocratique et libéré des parasites. Profitant du débat autour de la réforme de la Constitution et pour couper l'herbe sous le pied de ceux qui ne pensent qu'à s'éterniser au pouvoir et qui ni savent et ni peuvent l'exercer (le pouvoir), le peuple algérien doit forcer la convocation d'élections libres et démocratiques pour élire une assemblée constituante, avec pour unique objectif la rédaction d'une Constitution qui réponde aux véritables aspirations de notre peuple, qui sont la justice, l'émancipation, la liberté et la sécurité. instaurer un débat sincère et franc Comme préalable à des élections libres et démocratiques, en premier lieu la levée de l'état d'urgence. En deuxième lieu, les élections doivent être supervisées et contrôlées par une commission nationale électorale indépendante, intégralement composée par des personnes irréprochables, intègres et honnêtes. En troisième lieu, inviter des observateurs des pays démocratiques en nombre suffisant pour garantir la transparence et la propreté du processus électoral et certifier la validité des élections. En quatrième lieu, garantir l'égalité des chances à tous les candidats aux élections, le droit de contrôle sur tout le processus électoral et le libre accès aux moyens de communication étatiques. En cinquième lieu, neutraliser l'administration qui a démontré son parti pris et son caractère servile depuis l'Indépendance au service des tenants du pouvoir. En sixième lieu, l'interdiction aux candidats aux élections au pouvoir l'utilisation des deniers publics et l'argent du peuple pour faire campagne électorale et l'interdiction à ces candidats la célébration d'actes publics et d'inauguration pour faire campagne électorale et s'attirer les voix des électeurs aux frais du contribuable. En septième lieu, opter pour une loi électorale à résultat proportionnel pour garantir la participation de toutes les forces politiques à la future assemblée populaire nationale. En huitième lieu, nommer un gouvernement neutre, formé uniquement par des technocrates pour l'organisation administrative des élections. Concernant le débat autour du futur système politique, il doit être sincère et franc. Par conséquent, nous souhaitons que nos futurs élus sauront tirer les leçons des échecs du passé pour nous éviter d'autres drames. Avant d'entamer le débat, il est souhaitable que nos futurs élus fassent une analyse en profondeur de tout notre système politique pour détecter les déficiences qui l'ont amené vers la catastrophe et l'impasse. Comme contribution personnelle et modeste à ce futur débat, mon apport sera le suivant : 1- Opter pour un système politique parlementaire, vu que ce dernier permet la participation la plus large de toutes des forces vives de la nation, sans oublier d'instaurer les sessions hebdomadaires de contrôle parlementaire au gouvernement, pratique très répandue dans les démocraties occidentales. 2- Le président de la République doit être élu indirectement et son rôle doit se limiter au symbolique et au protocolaire comme dans la démocratie italienne ou autrichienne, et le cas échéant peut aussi arbitrer certains conflits entre les institutions en situation d'impasse. 3- Chercher l'équilibre entre les institutions, en séparant les pouvoirs et en déterminant les prérogatives avec précision de chaque institution. 4- Créer un organe judiciaire indépendant - en Espagne, cet organe s'appelle Conseil généré du pouvoir judiciaire - pour garantir l'indépendance de la justice, protéger les juges des pressions internes et externes et garantir aux citoyens une justice indépendante et équitable ; sans oublier l'expulsion de la carrière judiciaire, les éléments corrompus et incompétents. Garantir aux juges un salaire digne à la hauteur de la noble tâche qui leur est assignée pour les préserver des tentations de la corruption. 5- Garantir la liberté d'expression dans la future constitution, aider la presse indépendante en lui facilitant l'accès à tous les moyens matériels, libéraliser les moyens de communication, cesser la persécution contre les journalistes et bannir de notre langage le délit de presse en dépénalisant le droit à la libre expression. 6- Limiter les mandats de tous les élus à deux mandats, d'où une durée ne pouvant excéder plus de cinq ans -, quatre ans c'est largement suffisant -, limiter l'âge de l'exercice du poste électif politique à 65 ans d'où l'obligation à la retraite pour faciliter l'alternance au pouvoir, la participation citoyenne dans les affaires publiques et pour ne pas convertir la politique en moyen lucratif 7- La déclaration obligatoire de tous les élus, de leur patrimoine économique au début et à la fin de chaque mandat électif. 8- Stimuler la création d'un tissu associatif en aidant les associations matériellement et humainement, encourager les intellectuels et les artistes pour faciliter l'émergence d'une authentique société civile capable de relever les défis et au service de notre peuple. 9- Elaborer une nouvelle loi sur les partis politiques pour les protéger des pouvoirs occultes et favoriser l'égalité des chances entre tous. Dissoudre tous les partis parasites, auteurs des souffrances de notre peuple. 10- Lutter contre le régionalisme et le clientélisme comme forme de corruption et d'association de malfaiteurs, et s'il faut pénaliser ces maux légalement, il faut le faire pour que l'accès aux postes politiques et aux postes publics se fasse uniquement sur la base de la compétence et de la capacité. Bien sûr, il y a beaucoup d'autres points aussi importants qu'il faut aborder durant le débat pour l'avènement de la démocratie et la construction d'un Etat de droit dans notre pays. Cependant, les conditions préalables pour l'organisation d'élections libres combinées aux dix points déjà cités que doit contenir notre législation nous permettra seulement le rapprochement a un smic démocratique digne. Pour construire un Etat de droit avec ses respectives institutions démocratique le parcours sera rude et difficile mais pas impossible. Par Mouloud Taïbi, Ex-président de l'Association des émigrés algériens en Espagne.