Quand le Mucem de Marseille tend des passerelles avec Alger... Alger et Marseille, deux grandes villes méditerranéennes aux multiples strates. Deux villes ressemblantes aussi par leurs configurations architecturales, ayant en partage, notamment, des réalisations de l'architecte Fernand Pouillon dont les bâtiments du Vieux Port ont été construits avec les mêmes matériaux et surtout le même esprit que la cité Diar El Mahçoul d'Alger. Deux villes qui partagent aussi une histoire maritime et des dimensions humaines. Le Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) nous propose très prochainement de les explorer en mettant en avant les rapports entre les deux cités. Du 19 au 23 février, le musée marseillais accueillera un temps fort intitulé «Alger-Marseille, allers-retours», qui retracera quelques passerelles historiques, culturelles et artistiques en présence de chercheurs, intellectuels et artistes des deux rives portés sur le dialogue culturel. Cette manifestation multidisciplinaire affiche un programme opulent et ouvert à tous les publics. Le premier axe de ce rendez-vous concernera la recherche historique et se déploiera autour de la période coloniale, une époque qui ne se conjugue sûrement pas au passé simple. Sa complexité sera justement esquissée par des table-rondes d'historiens algériens et français. Les «Six leçons d'histoire partagée» concerneront surtout la vie des Marseillais et des Algérois à l'ombre du fait colonial. L'ouverture se fera sous le signe de l'histoire critique avec Sylvie Thénault (CNRS CHS, Université Paris 1) et Ouanassa Siari Tengour (CRASC, Oran) qui ont participé à la direction de l'ouvrage collectif Histoire de l'Algérie à la période coloniale, paru en 2012 aux éditions Barzakh et La Découverte, petit monument éditorial qui regroupait des chercheurs de divers horizons et nationalités pour une lecture renouvelée du fait colonial. Les leçons suivantes tenteront d'embrasser les changements survenus durant les 132 ans de colonisation, de la Régence d'Alger à la guerre de Libération nationale en passant par les deux guerres mondiales et les massacres du 8 Mai 1945. La conclusion sera assurée par les professeurs Daho Djerbal (Université d'Alger) et Benjamin Stora (Université Paris 13) qui poseront une problématique d'actualité : «Que peut l'histoire face aux enjeux de mémoire ?» Le deuxième volet sera artistique et littéraire et comprendra une série de rencontres autour de thématiques d'hier et d'aujourd'hui. Il y sera question de deux grands auteurs marqués par l'Algérie : le poète Jean Sénac, né à Béni Saf, et le philosophe Jacques Derrida, né à El Biar. Michèle Audin, fille du martyr Maurice Audin, évoquera le passé terrible qui remonte, tandis que de jeunes écrivains algériens comme Sarah Haïdar et Samir Toumi partageront leurs incertitudes du présent. Sid-Ahmed Semiane et Bruno Boudjellal dévoileront pour leur part une partie de leur correspondance faite d'images, d'impressions et d'actualités d'Alger, de Marseille et d'autres villes méditerranéennes. Côté scène, Cheikh Sidi Bémol chauffera les bendirs et les guitares ! Avec sa musique arabo-berbéro-celte, la bande du fougueux Hocine Boukella trouve naturellement sa place dans un tel événement multiculturel. L'écrivain et dramaturge, Mohamed Kacimi proposera, 1962, une pièce de théâtre autour de deux amoureux séparés par la Méditerranée et les tourments de l'histoire. Le chanteur Rudolphe Burger et le joueur de oûd, Hakim Hamadouche, joindront leurs talents au photographe Bruno Boudjellal qui tentera de recomposer son identité avec des photos des deux côtés de la mare nostrum. Des images, il en sera également question dans la carte blanche à Ahmed Bedjaoui. Notre Monsieur Cinéma proposera une série de films qui illustreront différentes périodes de la cinématographie algérienne : Les folles années du twist (1983) de Mahmoud Zemmouri, Bab El Oued City (1994) de Merzak Allouache et La Preuve (2001) de Amor Hakkar. Toujours en images, la talentueuse bédéiste Nawel Louerrad rencontrera le dessinateur marseillais Benoît Guillaume pour développer un regard croisé où chacun croquera la ville de l'autre. Le volet image du programme comprend enfin des projections d'archives issues de l'INA (Institut national de l'audiovisuel) et du projet Med-Mem ainsi qu'une installation du photographe Yves Jeanmougin à travers laquelle s'animeront des prises de vue des deux «villes jumelles» sur lesquelles il a travaillé en cherchant à repérer leurs correspondances visuelles et thématiques. Les enfants, mais aussi les adultes, ne seront pas en reste avec le théâtre de marionnettes considéré sous l'œil avisé et poétique du film Garagouz (2010) de Abdennour Zahzah et le spectacle de la Compagnie Arnica, basée à Bourg-en-Bresse, qui propose une version plus moderne de cet art. Des ateliers de danse seront proposés par Katia Fasi qui initiera les petits aux pas de danses et rythmes traditionnels d'Algérie. Enfin, l'incontournable tradition du conte, typiquement méditerranéenne, sera perpétuée et magnifiée par Rachid Akbal et ses Contes cruels du Djurdjura. En amont du temps fort «Alger-Marseille, allers-retours», l'Algérie est largement présente dans le programme du Mucem tout au long de ce mois. Le 17 février, une conférence de Didier Nourrisson et Françoise Beton reviendra sur l'épopée algérienne d'Orangina, mythique boisson gazeuse, née à Boufarik, et dont la saga s'est aujourd'hui mondialisée. Côté écran, le programme des projections est entièrement consacré au cinéma algérien. Dès demain, le public marseillais pourra découvrir la part cinématographique de l'œuvre d'Assia Djebbar avec La Zerda, ou les chants de l'oubli (1982, primé au Festival de Berlin comme «meilleur film historique»). Le programme cinématographique comprend pas moins de quatre cycles. Le premier est une carte blanche à la comédienne algérienne Nadia Kaci (8-9 fev.), il sera suivi de «Alger en cinémas» (15-16), «Algérie, entre passé et contemporain» (1er mars) et «Regards croisés France-Algérie» (2 mars). Enfin, Boudjemâa Kareche, ancien directeur de la Cinémathèque algérienne, dialoguera avec la nouvelle génération de cinéastes représentée par Tarek Teguia ainsi que plusieurs jeunes réalisateurs invités pour des projections-débats. L'art et la culture peuvent tracer des sillons sans doute plus profonds que le sillage des cargos.