Les tensions persistent au sein du système, dont les patrons font semblant de s'entendre sur un 4e mandat avec pour seul horizon une révision de la Constitution, un dénouement biologique… et un nouveau bras de fer en perspective. «On aurait pu faire autrement. S'appuyer sur d'autres gens, de vraies compétences, des jeunes.» Dans la voix, il y a de l'inquiétude, de la déception, de l'impuissance, aussi. Et pour cause. «Tant qu'il émettra un souffle, Abdelaziz Bouteflika sera toujours candidat.» Comme pour mieux se faire comprendre, le fidèle du sérail aux tempes grisonnantes détache chaque syllabe. Il le connaît si bien, «Si Abdelaziz». Il connaît si bien ses courtisans, dont, il l'admet, il ne reste pas que les meilleurs. Les secrets de couloirs, comme les cris, au Val-de-Grâce, de Saïd Bouteflika contre Mediène. Cette fratrie soudée au sein de laquelle chacun sait la place qu'il doit garder. Et au fond de lui, sans le dire, il se désole qu'au bout de quinze ans, personne n'ait vraiment «compris» le Président dans son attachement viscéral au pouvoir, pour qui l'unique trajet ne peut être qu'El Mouradia-El Alia. «C'est sa culture de l'Etat. Il a toujours vécu là-bas, il en a été chassé, il est revenu, il voit ça comme son droit. Son destin.» Et si cette fois encore, il rempile, «c'est que tout le monde s'est mis d'accord» sur la tournure des événements. Et après ? «On verra», se contente de dire notre source. Si Dieu le veut, Abdelaziz Bouteflika sera réélu, il révisera la Constitution et un vice-président sera désigné. Pour preuve : la composition de l'équipe de campagne «très DRS» : Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia, Amara Benyounès ou encore Abdelkader Ouali, ex-secrétaire général du ministère de l'Intérieur… «Bien que lui-même choisisse aussi des hommes du DRS pour impliquer Mediène jusqu'au bout», nuance un ministre au fait des machiavéliques stratégies d'El Mouradia. Deux ans de transition Mais le consensus est fragile et temporaire. Entre Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Lamine Mediène, la première manche se solde par une trêve. «Ou en tout cas l'apparence d'une trêve, assure-t-on des deux côtés. Mais la guerre va recommencer après le 17 avril, avec le choix du vice-président.» Dans l'entourage du chef de l'Etat, comme autour du patron des services secrets, personne n'est dupe : si le patron du DRS a adoubé l'option du 4e mandat, avec la condition biologique que le Président tienne deux ans – les fameux «deux ans de transition», un vieux principe depuis 1992 – en coulisses, il fera tout pour torpiller ses options. La Présidence, où il n'est clairement pas tenu en estime, s'attend à ce qu'il «continue de fomenter, c'est dans sa nature, de sales coups contre le 4e mandat tout en faisant mine d'approuver les décisions du chef de l'Etat. Parce qu'il sait que le Président veut sa peau. Abdelaziz Bouteflika a vaincu l'armée, mais en quinze ans, malgré ses tentatives, il n'a pas réussi à se défaire de l'influence du DRS, résume un haut gradé. Il ne supporte pas cette idée, d'avoir quelqu'un avec qui partager le pouvoir». Mais dans son camp, on assure que Abdelaziz Bouteflika, même en ayant la possibilité de l'envoyer à la retraite (munition ultime que le Président garde pour une crise majeure), ne peut rien contre celui qui tient «l'Etat profond». En d'autres termes, les hauts fonctionnaires de la Présidence, les patrons de l'UGTA ou de la Fonction publique, les chefs d'unité au grade moindre que général de l'ANP, les cadors des Finances, les «opé» du DRS (le CPMI et les CTRI), les poids lourds de la «famille révolutionnaire», le patronat, les «petites mains» de l'Etat, les retraités de l'ANP actifs (les Touati-Nezzar and Co), les hauts cadres des wilayas ou de la Banque d'Algérie, les cadors des Affaires étrangères, les barons pourris et les saints guides des zaouias. Casting Les fameux «n moins 1» de l'Etat qui font «marcher» la machine complexe Algérie et qui parfois formulent des réserves et des critiques auprès de leurs «illégitimes» patrons. Et puis, surtout, le Président ne peut rien contre son pouvoir de nuisance. «Les affrontements de Ghardaïa ne sont qu'instrumentalisation d'un clan contre un autre pour faire pression et dire : ‘Tu vois, si je m'en vais, c'est le chaos', affirme un ancien haut officier. Parce que dans le fond, tous les deux ont la même culture de l'homme providentiel : ils appartiennent à cette génération qui ne peut pas passer le relais.» Avant l'AVC et le départ au Val-de-Grâce, Abdelaziz Bouteflika avait bien envisagé d'amender la Constitution pour intégrer le poste de vice-président, «mais cela ne l'arrangeait pas, car cette mesure aurait donné une légitimité à celui appelé à le seconder. Or, il veut un vice-président désigné, qu'il puisse enlever quand il le veut», décrypte un conseiller d'El Mouradia. Le n°2 fera donc, lui aussi, l'objet d'un compromis, «personne ne pouvait dire aujourd'hui s'il sera 20% DRS-80% présidence ou 40% présidence-60% DRS». Le casting a déjà commencé. En lice : Abdelmalek Sellal. «Sa force : Bouteflika le considère comme un homme du DRS, mais dans les faits, il est proche de Saïd et de Ali Haddad qui, depuis quelques mois, se permet de conseiller le frère cadet du Président. Le problème, c'est qu'il n'est pas crédible. Il a raté toutes ses sorties publiques.» Abdelaziz Belkhadem, le chef de l'Etat se méfie de lui, mais il est «manipulable». L'armée ne l'aime pas, mais cette option ne gênerait pas le DRS qui a des dossiers sur lui. Tayeb Belaïz. «Il a été envisagé pour remplacer Sellal au gouvernement. Mais il est trop marqué ‘Ouest'.» Abdelghani El Hamel. Aux yeux de certains, le général-major ex-patron de la Garde républicaine et directeur général de la sûreté nationale, cumule les qualités : son âge (il a la soixantaine), sa forme physique («il fait du sport», tient à préciser un proche), le respect des civils comme des militaires : il ne traîne aucune casserole, n'a même jamais été un général politique. Embuscade Il incarne aussi une nouvelle police moins pourrie que du temps de Tounsi qui a été assassiné il y a une année dans son bureau. Bref, il rassure. Ahmed Ouyahia. Il reste un bon exécutant, mais là, il préfère attendre son heure… dans cinq ans. Dans cette feuille de route, exit donc, le scénario d'une shortlist de candidats validés par un système incapable de trancher et contraint à une élection semi-ouverte, à laquelle ont envie de croire les pro-Ali Benflis. Exit aussi, pour l'instant, le scénario du «candidat-surprise», ramené par l'article 141 de la nouvelle loi électorale, selon lequel, si l'état d'empêchement était décrété, un candidat peut être parachuté dans la course, héritant du dossier de candidature de son prédécesseur, avec un report des élections de, maximum, 15 jours. Une nouvelle disposition à travers laquelle les pro-Mouloud Hamrouche aimeraient voir une alternative possible pour l'ancien chef de gouvernement. Ce dernier, dans une salle pleine de journalistes et de sympathisants, a renouvelé hier, jeudi, son appel aux chefs militaires pour se concerter, sortir de l'embuscade du 4e mandat et réfléchir à l'après-17 avril, en se proposant garant de la transition. «Au FLN, au plus fort de la crise avec Belkhadem, les cadres du parti l'ont supplié d'intervenir, il n'a pas voulu, critique un proche de Amar Saadani. Il reste cloîtré chez lui, s'entoure du même petit noyau de personnes depuis des années et échafaude des théories, ce n'est pas un homme politique.» En théorie, Mouloud Hamrouche, faute de base et d'appareil, pourrait avoir le soutien de la troupe. Mais en pratique, Bouteflika la tient par la discipline. Troisième voie Même si des voix à l'intérieur de l'armée, au niveau de l'état-major, des commandants d'armes, des régions militaires, d'unités de combat qui s'expriment contre Ahmed Gaïd Salah et contre le chef de l'Etat, même si dans le fond, le manque de cohésion pose problème, les chefs militaires semblent s'être résignés. «Bouteflika a commis l'irréparable : en neutralisant l'armée à travers Gaid Salah, il a déséquilibré les rapports de forces dans le régime et a cassé la tradition de l'arbitrage», souligne un ex-haut gradé. En conclusion : aussi ténu que soit le consensus, rien ne semble pouvoir changer la donne, «mise à part un éventuel retrait total des candidat avant la campagne électorale pour saborder l'élection», confie un cadre du FLN. «Ou la troisième voie, assure un officier n'appartenant pas au courant Mediène. Les militaires qui sont derrière Zeroual et qui n'acceptent pas de transiger.» Concrètement, ils n'ont aucun émissaire sur la scène politique, mais à leur échelle, «ils ont aussi un pouvoir de nuisance». «Ils ont les moyens de tirer les ficelles de la contestation. Celle des gardes communaux, des vétérans, des rappelés.» L'hypothèse n'est pas complètement exclue, d'autant que les rapports du terrain qui remontent à la direction du DRS s'inquiètent de la contestation sociale. «Tous les voyants sont au rouge. Les mouvements sociaux ne sont pas nouveaux, mais elle pourrait se cristalliser contre le 4e mandat, explique l'officier, comme une menace à demi-mot. Si elle était mal gérée, s'il y avait des dérapages, on pourrait se retrouver avec un nouveau front très significatif. Et là, la troisième voie pourrait peser.» Mais Bouteflika n'en est pas à ses premiers troubles. Il sait, à l'image de Mouaouia Ibn Abi Sofiane, relâcher le cheveu qu'en face les autres tendent, et tirer quand il s'assouplit. Bouteflika, même alité, tient du bout du doigt ce cheveu tendu, image d'un consensus si fragile.