La Franco-camerounaise, Calixthe Beyala, s'est imposée non seulement dans le monde complexe des littératures postcoloniales mais aussi dans le milieu médiatique français pour son franc-parler remarqué, pour ses prises de position sans concession sur des sujets aussi brûlants que la question de la reconnaissance de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, ou encore sur celle du racisme anti-Noir en France où les idées de l'extrême-droite se banalisent de manière inquiétante. Elle a publié de nombreux romans dont Les Honneurs perdus, Grand Prix de l'Académie française et, en ce début mars, elle publie Le Christ selon l'Afrique chez Albin Michel. La jaquette du roman est multicolore avec un titre en relief, des couleurs vives qui représentent des masques africains et des yeux omniprésents qui semblent sortir des tableaux de Picasso. L'histoire, narrée avec une grande verve, débute ainsi : «Une chaleur moite enveloppait les hommes et les bêtes ; le soleil brûlait la terre et l'asphalte fondait comme du chocolat jeté sur le feu. Au centre-ville, les riches après avoir prié le Christ rédempteur s'étaient agglutinées dans les maquis–bars climatisés pour y faire des affaires. Les pauvres priaient Dieu et lui demandaient de leur donner la force de rivaliser avec les riches dans les affaires». Le ton politique du récit est annoncé dans ces premières lignes qui plantent le décor d'une histoire truculente, riche en rebondissements. La protagoniste, Edeme Boréale, dont le nom suggère métaphoriquement la lumière et l'espoir des femmes africaines, nous mène dans les méandres de la vie du Cameroun. Avec ce roman, Calixthe Beyala revient vers ses sources en offrant une virée fictionnelle dans un quartier pauvre de Douala. C'est toute la chaleur de la rue africaine qui est reproduite et qui prend vie. Le récit, bien structuré, se déroule à «Kassalafam», un nom qui souligne la position féministe de la romancière et l'humour critique qui se dégage tout au long du roman. La métaphore de la femme africaine passe par le point de vue de Boréale dont l'histoire est loin d'être un long fleuve tranquille car elle baigne «au mitan de courants idéologiques contradictoires aussi complexes que les hiéroglyphes égyptiens». Boréale a une relation conflictuelle avec sa mère qui n'a de considération que pour sa sœur aînée. Cette mère veut que sa fille Boréale soit mère porteuse pour un oncle dont l'épouse ne peut avoir d'enfants. Cette dernière qui ne porte que des tenues importées comme la «longue robe en satin jaune expédiée de France par la Redoute» et le collier de perles de Majorque, est un prototype de l'arrivisme de certains Africains. Le traumatisme est total pour Boréale, mais dans ce quartier démuni, elle tente de construire sa vie personnelle et essaie de se défendre contre l'appât du gain de sa mère qui ne voit dans cette entreprise qu'une amélioration matérielle de son propre sort. Boréale travaille comme domestique chez Madame Sylvie, une Française qui se comporte comme au temps des colonies, profitant des choses et des hommes, se permettant une vie de bourgeoise qu'elle n'aurait jamais eu en France car «l'Afrique a vu s'abattre sur elle une flopée de Blancs chassés de l'Europe par la crise économique» et qui jouent une histoire anachronique. Le tableau de ces comportements néo-colonialistes est caustique car les Français peuvent se permettre avec leur petite rente «trois boys, six maîtresses et vivre les pieds dans l'eau». Les critiques sont acerbes telles qu'exprimées par les personnages de cette Afrique qui souffre à cause de ses dirigeants arrimés au pouvoir et d'une corruption généralisée. Les passe-droits font partie du système comme c'est le cas pour tous ceux qui travaillent dans le port de Douala, du plus haut administrateur au plus démuni des travailleurs. Tout le monde veut sa part du gâteau et, à Douala, les flics s'ennuient la plupart du temps car «en dehors des hauts fonctionnaires pillards des caisses de l'Etat et des prédateurs de grande envergure, il y a juste des petits délits à déclarer à la police». Cette Afrique épuisée ne voit pas le bout du chemin, à l'image de tous les protagonistes qui ont l'illusion de vivre dans un marasme dont ils ne sont pas responsables. Calixthe Beyala met à mal aussi toutes les religions qui assujettissent les pauvres Africains mais qui aident les plus riches à le devenir davantage, d'où le titre du roman. L'écriture est virulente, sans concession comme les funérailles grandioses que chaque famille veut organiser pour montrer qu'elle est supérieure, même quand elle n'a pas le sou ! La mondialisation n'échappe pas à la vindicte de la romancière, au zénith de son écriture, maniant avec dextérité un style enlevé, alerte, coloré. Elle utilise des expressions à l'africaine comme «cadeauter d'un salaire». Elle le fait de manière continue, donnant au texte une homogénéité remarquable, se rapprochant du réalisme magique. Le récit est intimement africain, tout en ayant des références à la culture française, se connectant ainsi à la situation postcoloniale qui veut que la globalisation soit présente par le biais d'une culture partagée grâce à la parabole et Internet. Calixthe Beyala signe un texte de fiction de haute tenue littéraire qui met en scène la misère du petit peuple africain et son génie à vouloir vivre intensément, en dépit de tout. Calixthe Beyala, «Le Christ selon l'Afrique», Ed. Albin Michel, Paris, mars 2014.