Les sentiments peuvent-ils résister au poids de l'histoire et de la société ? Pour son treizième roman, l'écrivaine raconte une histoire qui défraie la chronique parisienne. Calixthe Beyala a parcouru un long chemin qui l'a menée des bidonvilles de Douala, au Cameroun, aux beaux quartiers de Paris où elle réside. Figure remarquable, personnalité affirmée, plume acerbe et directe, elle est aussi cette voix rauque qui sait donner de l'étoffe à des vérités évidentes qui méritent d'être réitérées : la liberté des femmes face au machisme ; l'égalité entre les êtres humains, quelque soit la couleur de leurs peaux ; ou le refus d'une Afrique déshéritée… Aujourd'hui, Calixthe Beyala est une femme qui sait user des médias pour des causes nobles, mais aussi pour sa propre image de romancière qui ne s'en laisse pas conter. Elle vient de signer son treizième roman : L'homme qui m'offrait le ciel. Le titre ne trompe pas et résume bien le ton du texte, en l'occurrence une histoire d'amour qui se veut unique. Seulement voilà, toutes les histoires d'amour se ressemblent ! Alors, la manière de conter devient essentielle et, dans sa forme, le récit de Beyala est classique, linéaire et chronologique. En ce début de XXIe siècle, la création littéraire montre des signes d'essoufflement en termes d'innovation des écritures. L'usage du flash-back, des récits anachroniques et des histoires où les temps s'entrelacent, n'est plus aussi innovant. Ainsi, le mérite de Calixthe Beyala est d'avoir relevé le pari de s'en tenir au récit traditionnel qui a certainement fait ses preuves, mais qui peut être ennuyeux. L'homme qui m'offrait le ciel est cependant loin de l'être car il se lit facilement, tant au niveau du récit qu'au niveau du lexique. Le lecteur se laisse happer par une intrigue d'une simplicité remarquable. Justement, la question que l'on se pose à la fin du récit est : y a-t-il eu une intrigue dans ce roman ? En fait, peu de choses se passent dans ce roman avare d'actions. Je dirais même que c'est d'une platitude déconcertante, répétition du verbe « aimer » et du terme « passion ». Les personnages manquent de profondeur et le ton reste descriptif. Pourtant, le lecteur reste suspendu à l'autofiction d'Andéla, romancière d'origine africaine, qui raconte un épisode de sa vie. L'évènement majeur se situe au début du récit. La passionaria rencontre un présentateur célèbre de la télévision française qui tombe amoureux d'elle lors d'une soirée du microcosme parisien où les cocktails se succèdent et se ressemblent. La rencontre a tout d'un coup de foudre, amour à première vue, accélérateur d'une intrigue qui finit par évoluer au ralenti à partir de ce moment-clé. Echange de numéros de téléphone. Classique ! Une idylle voit le jour et l'on suit la romancière africaine et François dans cette relation particulière qui doit rester secrète, même si les deux amoureux ne se cachent pas lorsqu'ils dînent dans les restaurants les plus en vue de Paris. La romancière auto-diégétique retrace les rendez-vous, recense les « je t'aime » ainsi que les questionnements qui entourent une telle relation, à la fois publique et secrète, d'où le hiatus entre l'action et de la psychologie des personnages. Le lecteur reste en attente d'un évènement, d'un rebondissement qui n'a lieu qu'à la fin du récit autofictionnel, lorsque le présentateur décide de disparaître de la vie de la romancière, sans avoir le courage ni l'élégance de l'annoncer lui-même. C'est sa collaboratrice qui sera chargée de le dire à Andéla de manière brutale. Frustration, sentiment d'avoir été utilisée. Le roman reste descriptif et le personnage d'Andéla semble être plus la proie de l'évènement que l'actrice de sa vie. Le lecteur n'entre pas dans la psychologie intérieure de François ni de celle de la romancière. Quelques scènes décrivent la relation de cette dernière avec sa fille adolescente qui voit d'un mauvais œil ce Blanc qui rentre et sort à sa guise dans le cocon familial. Calixthe Beyala aborde un sujet brûlant, celui de la relation amoureuse entre personnes d'horizons différents qui n'ont pas la même couleur de peau. Une question sociétale et politique est ainsi soulevée. L'écrivaine casse un tabou en montrant que les problèmes proviennent des deux côtés. Elle met en situation Andéla prise à partie par sa communauté de couleur qui lui intime l'ordre de quitter ce présentateur blanc, pour sauver son image et ne pas brouiller le message de ses luttes. Paradoxe, car les luttes en question s'opposent à tous les racismes ! Au-delà de la fiction, l'histoire contée n'est pas banale car la question qui taraude les lecteurs, par ailleurs téléphages, est : quelle est la véritable identité de François ? Tous les indices font penser à un animateur vedette qui présente une émission les dimanches après-midi et dont les angoisses et les drames de la vie ressemblent étrangement à ceux du personnage. Alors, sous couvert de fiction, Calixthe Beyala ne signe-t-elle pas là un roman autobiographique ? Si cette relation amoureuse a existé, alors a-t-elle été pour elle trop lourde à porter secrètement ? Ce roman pose également avec justesse la question des rapports Nord-Sud à travers l'histoire d'un amour improbable, à la fois simple et compliqué, à cause du poids de la société qui ne se défait pas facilement de ses tabous et préjugés. L'homme qui m'offrait le ciel pose avec acuité la question de la post-colonialité et de la relation toujours ambiguë et souvent faussée entre des êtres qui s'attirent intellectuellement et physiquement, mais qui ne donnent pas libre cours à leur relation, à cause de la bêtise humaine. Calixthe Beyala, L'homme qui m'offrait le ciel, Paris : Albin Michel, 2007.