Le cri des suppliciés leur survit, il habite le temps et l'espace, transperce silence et oubli, et réclame justice et vérité. Le fleuve de sang irrigué par 200 000 morts et de nombreux blessés coule comme une plaie béante dans le corps de l'Algérie. Une plaie que l'on ne peut fermer sans en connaître l'ampleur, l'origine et la douleur. La corporation médiatique n'a pas versé que de l'encre, mais aussi beaucoup de sang. N'est-ce pas la meilleure preuve de son lien avec ce pays et ce peuple que de mêler son sang à sa terre ? Pas moins d'une centaine de journalistes et assimilés des médias sont tombés sous les balles assassines. Tahar Djaout était le premier d'une longue liste qui a jeté un deuil inconsolable sur la corporation. 9 journalistes sont morts assassinés en 1993, 24 en 1994, 40 en 1995, 21 en 1996, 5 en 1997 et 2 ont disparu. Il y a vingt ans, le mois de mars 1994 avait emporté six victimes. -Mohamed Hassaïne assassiné le 28 février 1994 : C'était un jour de Ramadhan, Mohamed Hassaïne, journaliste à Alger républicain, a été kidnappé par un groupe terroriste alors qu'il quittait son domicile à Larbatache et se rendait à Rouiba, il n'a jamais été retrouvé, laissant une veuve et trois enfants. Il était 7h30. Sa femme s'est inquiétée à l'heure du f'tour de l'absence de son mari. Elle ne le reverra plus jamais. Ce n'est que quelques années après ce forfait, que des témoins ont dit avoir vu quatre terroristes l'attendre dans un coin de la rue. Un repenti avait affirmé que Mohamed Hassaïne, âgé de 49 ans, avait été assassiné dans la nuit du 28 février au 1er mars. Mais son corps n'a jamais été retrouvé et ses enfants n'ont pas pu l'enterrer et faire leur deuil. Hassaïne travaillait comme technicien en agriculture au sein de la sous-direction agricole de Khemis El Khechna, et prenant à cœur les problèmes des travailleurs et de la paysannerie, il rejoint l'équipe d'Alger républicain en qualité de correspondant. -Abdelkader Hirèche quitta ce monde le 1er mars 1994, très tôt, à l'âge de 29 ans : La Faucheuse ne l'avait pas prévenu, elle est passée par les mains assassines de deux terroristes qui, à 21h30, dans un café au Gué de Constantine à Alger, ont abattu froidement de deux balles dans le thorax le jeune Abdelkader Hirèche. Il s'était retrouvé dans ce café avec deux amis comme à son habitude après la prière d'el icha. Son ami, Hocine Mihoubi, a tenté de s'interposer, il reçut deux balles à son tour au thorax. Hirèche n'a pas eu la chance de son ami de pouvoir échapper à la mort. Abdelkader Hirèche, jeune licencié en sciences de l'information et de la communication, a rejoint le service international de la Télévision algérienne en 1991. «Parfaitement bilingue, il est considéré, selon son directeur de l'information, comme un journaliste ayant un style particulier d'écriture et une voix qui dépasse la moyenne requise», notait un article d'El Watan dans son édition du 2 mars 1994, au lendemain de l'assassinat du journaliste. -Hassan Benaouda est décédé le 12 mars 1994 : Alors que le choc de la nouvelle de l'assassinat de Abdelkader Hirèche était encore présent, un autre journaliste de l'ENTV succombe à ses blessures à l'hôpital de Aïn Naâdja. Hassan Benaouda est la cible d'un attentat dans son quartier de la Basse Casbah, et décède une semaine plus tard. Agé de 35 ans, Benaouda est atteint d'une balle dans la tête près de la mosquée Ketchaoua. «Né le 3 novembre 1959 à Tunis. Orphelin de mère, il est élevé par sa tante chez qui il se trouvait le jour où il a été agressé. Recruté à l'ENTV le 1er avril 1985 en tant que rédacteur commentateur, Hassan Benaouda était, selon ses responsables et ses collègues du service rédaction, un des plus dynamiques journalistes du service reportage. Jovial et agréable, il jouissait du respect et de l'estime de tous», souligne un article d'El Watan du 15 mars 1994. Benaouda était titulaire d'une licence en sociologie obtenue en 1984, marié et père de deux enfants. -Yahia Benzaghou tombe sous les balles terroristes le 19 mars 1994 : Il arrivait chez lui à Bab El Oued, à l'heure du déjeuner, il fermait tranquillement la portière de sa voiture, quand l'inattendu arriva. Deux jeunes arrivèrent à son niveau et lui logèrent trois balles dans la tête. Il était âgé de 50 ans et père de trois filles. «Le hadj Benzaghou Yahia occupait, depuis trois ans, le poste de directeur de la cellule de communication auprès du chef du gouvernement. Il a travaillé auparavant pendant plusieurs années au quotidien El Moudjahid, Horizon ainsi qu'à l'APS, notamment comme correspondant de cette agence à Belgrade», notait El Watan dans son édition du 20 mars de la même année. -Abdelmadjid Yacef décède le 21 mars 1994 en compagnie de Rachid Bendahou : Une attaque terroriste cible le siège du journal l'Hebdo libéré, sept hommes armés font irruption dans le journal. Le reporter photographe Madjid Yacef est assassiné, ainsi que Rachid Bendahou, chauffeur. Trois autres employés du journal sont grièvement blessés. Les criminels se sont fait passer pour des policiers afin d'accéder au siège du journal. Il était 11h. «Une fois à l'intérieur, ils procédèrent à une vérification d'identité, demandant aux locataires de leur remettre leur carte professionnelle. Visiblement, ils cherchaient le directeur du journal. Ce dernier étant absent, les terroristes, fous de rage, intimèrent alors l'ordre au personnel de se mettre à plat ventre. Les cinq personnes s'exécutèrent sous la menace des armes. Et une fois allongées, les terroristes leur tirèrent froidement plusieurs balles dans la tête», rapportait El Watan dans son édition du 22 mars 1994.