Le scrutin présidentiel du 17 avril a marqué une nouvelle étape dans l'interminable bras de fer opposant un pouvoir hégémonique et une opposition atomisée. Une épreuve de force qui reconduit un statu quo périlleux pour le pays, mais qui interpelle plus que jamais sur l'incapacité des forces politiques du changement à imposer un projet alternatif et fédérateur. Si objectivement, la machine de l'autoritarisme qui sévit depuis l'indépendance a eu un effet dévastateur sur la vie politique nationale, cela ne devrait pas exempter l'opposition de faire son examen critique et de tirer les leçons de ses «échecs recommencés». Enserrée dans des clivages anciens qui ne recouvrent aucune réalité politique d'aujourd'hui, l'opposition politique, qui n'a cessé d'alimenter durant au moins deux décennies des divisions souvent accessoires, a fini par aider le despotisme dans son «œuvre» de pacification. Par un comportement sectaire, elle a poussé des larges couches sociales à se détourner de la politique.Mais il semblerait que le coup de force du 17 avril a fait prendre conscience aux acteurs du changement de l'urgence de réinventer l'action politique, de revoir les méthodes de lutte et la manière d'agir. La démarche engagée par le Front du boycott, qui s'est mu en une Coordination pour la transition démocratique, peut constituer, de ce point de vue, le début d'un processus politique visant à construire un bloc national en mesure d'inverser le rapport de forces politiques. La transition démocratique s'est imposée, avant même la campagne présidentielle, comme un mot d'ordre fédérant les divers courants politiques de l'opposition. C'est une demande nationale qui a fait un large consensus, alors que les tenants du statu quo persistent dans le déni, faisant mine de croire que l'Etat dispose d'institutions qui fonctionnent selon des normes et des règles de droit. Indéniablement, le concept de transition revient avec force au devant d'une scène politique sclérosée. Il transcende les familles politiques et s'impose comme seule alternative crédible et sérieuse à un régime autoritaire finissant que la reconduction de Bouteflika ne saura sauver. Cette option est en passe de forcer les acteurs politiques à se parler, à sortir de leurs certitudes paralysantes et surtout à dépasser les contentieux du passé. S'obstiner dans l'errance politique et se perdre dans des processus électoraux vidés de leur substance ne sert qu'à ajourner la rupture avec l'ordre autoritaire qui opère des recompositions politiques dans la violence. Seule une convergence des forces politiques s'appuyant sur des dynamiques populaires pourrait contraindre les vrais détenteurs du pouvoir à négocier un nouveau contrat politique jetant les fondements d'un Etat démocratique. Le régime en place, qui tablait sur une «légitimité électorale», est sorti fragilisé de l'épreuve de la présidentielle. Dans une indignation passive, les Algériens ont signifié clairement leur refus d'accorder une légitimité au statu quo. Si l'on s'en tient uniquement à l'arithmétique officielle, un Algérien sur deux n'a pas voté. Abdelaziz Bouteflika va gouverner au nom d'un tiers du corps électoral. Signe de rupture. Cette nouvelle situation s'ouvre tel un boulevard devant l'opposition, à condition qu'elle sache capter le message envoyé par les Algériens exprimant une tendance lourde dans la société en faveur d'un changement de cap. Un message que les partisans du changement doivent traduire en actes et auquel ils doivent donner un sens politique. Manquer ce rendez-vous historique serait préparer les conditions d'un effondrement certain. Les concertations engagées entre le Front du boycott, les participationnistes incarnés par la candidature de Ali Benflis et les personnalités nationales, à leur tête Mouloud Hamrouche, sont de nature à recréer des alliances sur des bases politiques sérieuses. Les différents acteurs affichent publiquement une disponibilité à travailler à l'élaboration d'un compromis national qui créerait les conditions du passage vers la deuxième République. Telle est la voie de la raison contre le monarchisme rampant.