La situation politique en Algérie ressemble à un navire dans lequel l'équipage et le commandement sont arrivés au point où ils ne s'écoutent plus. Le cap que souhaite donner l'équipage n'est pas semblable à celui ordonné par le commandement, le navire s'en trouve donc arrêté. Pouvoir et opposition sont dans cette situation de langage de sourds, le premier voulant imposer son agenda et une transition limitée à une révision de la Constitution, la seconde réclamant un réel changement emportant pacifiquement le système de gouvernance. Mais les deux sont tenus – faute de légitimité pour le premier et de rapport de forces pour le second– d'aller vers une solution négociée de la crise. D'où les appels des uns et des autres au dialogue, mais dont la teneur diffère selon les initiateurs. Les partis de l'opposition, dans leurs différentes composantes, pas seulement ceux impliqués dans l'initiative de la Coordination pour le changement et la transition démocratique, mais même et surtout les personnalités politiques qui se sont exprimées en faveur de la transition démocratique, comme Mouloud Hamrouche ainsi que le Front des forces socialistes (qui a été l'initiateur de l'idée de refondation du consensus national) réclament, à travers différentes initiatives, d'aller vers un dialogue devant déboucher sur le passage négocié à l'après-système actuel. Le pouvoir, de son côté, après un passage forcé d'un quatrième mandat altéré par une non-adhésion massive de la population, est dans la posture de justifier le maintien de la même équipe dirigeante et reprend donc l'initiative en enrobant les appels à une transition démocratique de sa propre sauce. Ne supportant pas que l'opposition parle d'une seule voix, le pouvoir torpille le débat sur la transition en imposant son propre agenda. Une feuille de route est déclinée pour tenir en haleine, pour plusieurs mois encore, la classe politique et l'opinion publique. Faisant de la révision de la Constitution un objet de débat majeur pour éclipser le dialogue et les appels à un réel consensus. Les consultations seront ouvertes et dirigées par un Ouyahia plus que jamais utile au pouvoir pour donner un semblant de maîtrise de la situation. L'été sera long et amorphe et cédera la place à une rentrée sociale durant laquelle la révision de la Constitution prendra la part du lion et, de jour en semaine, le temps de décider de la manière de voter la «nouvelle» Loi fondamentale (par voie référendaire ou parlementaire) on occupera la classe politique par un autre débat et une autre préoccupation : la dissolution de l'Assemblée. Au-delà de cet agenda qui joue en faveur du pouvoir, puisque lui offrant l'opportunité de gagner du temps et de freiner les élans de changement, le besoin de dialogue se fait sentir chez le pouvoir qui avait déjà commencé par faire appel à des partis de l'opposition pour intégrer l'équipe gouvernementale. Du côté de l'opposition, c'est plutôt le besoin de négocier une sortie de crise qui se profile afin d'amener le pouvoir à accepter son incapacité à continuer à diriger le navire. Il reste aujourd'hui à savoir ce qui pourrait transformer le simple choix de dialogue de façade pour occuper le temps et les espaces médiatiques en réelle volonté de négocier un changement radical de la manière de gouverner ce pays. C'est toute la prouesse à laquelle l'opposition est invitée pour trouver une réponse. Une opposition qui doit faire face aujourd'hui à un vrai dilemme : aller ou ne pas aller à cette table de dialogue, même biaisé ? Quelle soit positive ou négative, la réponse de l'opposition sera justifiée car le choix de négocier est irréversible, mais encore faut-il savoir ne pas se laisser piéger par une feuille de route ficelée d'avance.