C'est la discipline scientifique qui élabore les meilleures décisions. Elle rationalise, stimule et optimise la hiérarchisation et le fonctionnement des systèmes de production ou d'organisation. La Recherche opérationnelle (RO) touche à tous les domaines de la vie. De la production industrielle ou agricole, à la gestion des transports en passant par l'organisation des organigrammes et des services administratifs ; elle est présente partout. A l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, des enseignants de la spécialité tentent de créer un département dédié à la RO pour réduire les contraintes de la gestion courante et optimiser la formation. Tizi Ouzou de notre envoyé Répertorier tous les atouts, lister les contraintes possibles et imaginables pour trouver l'algorithme idéal, celui qui permettra l'optimisation de toute production. Tel est le credo de la Recherche opérationnelle (RO), une filière scientifique à cheval entre les mathématiques, l'informatique et la gestion. Elle peut être définie comme l'ensemble des méthodes techniques et rationnelles utilisées à la recherche des choix les plus judicieux pour aboutir au meilleur résultat possible. Dans une Algérie où les grands chantiers engagés voient systématiquement leurs enveloppes initiales d'investissement réévaluées, et où la corruption ainsi que la dilapidation des deniers publics ont pris des dimensions affligeantes, les responsables et économistes déplorent un déficit important en managers de haut rang, capables de mener ces grands projets. Or, la recherche opérationnelle, appelée aussi «aide à la décision» qui devrait être classée à un rang stratégique, souffre encore de marginalisation. Une spécialité qui peine à s'imposer «Il y a réellement un manque de conscience de son importance (la RO), y compris par des enseignants de mathématiques», déplore Brahim Oukacha, l'un des initiateurs de l'ingéniorat RO au niveau de l'Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Introduite au département de mathématiques à la faculté des sciences dès 1996 par des enseignants issus des premières promotions de RO de l'Université Houari Boumediene de Bab Ezzouar (USTHB), la spécialité peine à s'imposer face aux autres filières malgré l'attrait qu'elle représente pour les étudiants. En effet, après Math-Info (MI), la recherche opérationnelle est le plus souvent classée en seconde position des choix opérés par les étudiants issus du tronc commun. «Les enseignants des autres spécialités dédaignent la RO. Ils nous prennent de haut en disant que nous ne faisons pas de mathématiques pures mais plutôt de la gestion. Et le fait que la RO attire de plus en plus d'étudiants cela les gêne», s'offusque un enseignant. «L'Université de Tizi Ouzou en général et le département de mathématiques en particulier souffrent terriblement de problèmes de gestion. C'est affligeant dans un établissement où l'on enseigne la RO», dénonce Mohouhand Aouene, maître assistant à la Faculté des sciences de Bastos. Le malaise des enseignants «Le corps enseignant souffre dans cette faculté. On n'a pas de bureaux pour accueillir nos étudiants, pas d'ordinateurs. Les classes sont surchargées et la programmation des cours est une calamité, alors que je sais que des salles sont disponibles mais pas bien exploitées», poursuit-il visiblement attristé. Dans les couloirs du département, une autre enseignante de la spécialité, Lynda Goumeziane, désigne les grandes salles de travaux pratiques où des dizaines de PC sont installés. «Cela ressemble plus à un cybercafé qu'à une salle de TP. Regardez, on n'a même pas accès au tableau pour écrire. Et puis, je trouve insensé que l'administration ne permette l'accès à ces salles qu'aux étudiants de master. Les autres ont aussi besoin de travailler sur PC. Et il faut savoir que beaucoup de nos étudiants sont issus de milieux pauvres, ils n'ont pas les moyens de d'aller souvent dans des cybercafés pour faire leurs exercices», peste-t-elle en dénonçant également l'insalubrité des lieux. «J'ai travaillé dans plusieurs établissements universitaires du pays, mais je pense qu'ici (UMMTO), il y a un réel problème de gestion. Les décisions sont prises en vase clos, sans consulter les enseignants. Et l'étudiant est roi. D'ailleurs, l'année dernière on n'avait pas assuré 50% du programme à cause des grèves et d'autres perturbations. Cette année, c'est encore pire. On n'a même pas dispensé 10% des cours qu'on a donnés l'année dernière, et malgré cela le semestre va être validé. Un semestre avec un mois de cours, c'est vraiment insensé. Et tout cela pour ne pas s'attirer les foudres des étudiants au détriment de la formation», dénonce Mohouhand Aouene. Un département pour la RO Pour pallier ces défaillances, les enseignants de la RO souhaitent la création d'un département dédié à la spécialité. «Dans les autres universités à l'instar de l'USTHB ou de Béjaïa, la recherche opérationnelle est un département indépendant. On est en train de préparer le dossier nécessaire pour déposer la demande de création de ce département au niveau du rectorat, ce sera fait dès la rentrée prochaine», annonce le professeur Mohamed Aïdène, en expliquant la démarche par la volonté d'enrichir l'Université de Tizi Ouzou, de rendre la spécialité plus visible et de faciliter la gestion de la spécialité. Ce directeur du laboratoire de conception et conduite de système de production (L2CSP) informe également de la création prochaine d'un master professionnel consacré au systèmes de gestion de l'entreprise. «En partenariat avec la wilaya de Tizi Ouzou, l'Ansej et la maison de l'artisanat (arts et métiers), la faculté des sciences a décidé de mettre en place cette formation pour encourager et encadrer l'entrepreneuriat», s'en réjouit le Pr Aïdène. Le master en question formera une vingtaine de licenciés issus de la RO et de l'économie de gestion. Le but est de produire des entrepreneurs capables de gérer de façon rationnelle n'importe quelle entreprise. «Il faut que la recherche opérationnelle réponde aux besoins réels de la société et de l'économie. Avant, on formait des ingénieurs, mais depuis l'avènement du système LMD, les diplômes décernés sont des licences académiques. D'où l'importance du master qui devrait plus se diriger vers des formations appliquées. Je suis de ceux qui préconisent que tous les étudiants poursuivent leur cursus en master», recommande le professeur qui déplore le manque de stages pratiques pour les étudiants malgré l'adhésion de quelques entreprises publiques ou privées telles Sonatrach, Sonelgaz, l'ADE ou Cevital, qui recrutent souvent les étudiants après. Mais, selon d'autres enseignants, la moitié des diplômés de la filière quittent le territoire national pour poursuivre leur cursus ou travailler dans d'autres pays. Le gâchis Par ailleurs, Mme Lynda Gouméziane affirme que malgré l'importance de la filière et son caractère stratégique dans la bonne gouvernance et l'économie de la connaissance, les diplômés de RO ne trouvent pas toujours de débouchés dans le monde du travail. «J'ai souvenir d'un étudiant que j'ai encadré en 2012 pour sa thèse d'ingéniorat. Le sujet s'intitulait ‘‘Planning et optimisation de la gestion de la formation du personnel navigant technique (pilotes) d'Air Algérie''. C'était le meilleur travail que j'ai vu de ma vie. L'ingénieur avait établi un algorithme qui aurait permis à la compagnie publique d'économiser des sommes très importantes dilapidées par défaut d'organisation des plannings de formation à l'étranger. Mais malgré ce travail très important, il n'a pas été recruté dans la compagnie et ce n'est que dernièrement que j'ai su qu'il a trouvé un travail décent», raconte l'enseignante. Le cas de cet ingénieux ingénieur n'est pas isolé. Comme son histoire à lui, beaucoup d'autres récits nous ont été contés et qui ont tous le même dénouement. «La plupart des diplômés en recherche opérationnelle se dirigent vers l'enseignement à tous les niveaux de l'éducation», assure Mme Gouméziane. Nul n'est prophète en son pays, dit le proverbe. Mais quel gâchis quand même ! Une gabegie à la mesure des sommes colossales dépensées inutilement ces dernières années dans des chantiers gigantesques qui coûtent toujours beaucoup plus cher que l'investissement consenti initialement, par perte de temps et d'argent. La recherche opérationnelle est une spécialité qui devrait être prise en considération dans chaque domaine existant. De la gestion du trafic routier, de la marchandise, en passant par l'agriculture, l'industrie et l'état civil, elle est la filière qui facilite les tâches et aide à la prise de décision. Chaque entreprise, établissement d'éducation, institution et Apc devrait compter parmi ses équipes un diplômé dans la filière. Mais le veut-on réellement ?